Réalisateurs : Eduardo Sánchez et Daniel Myrick
Année de Sortie : 1999
Origine : États-Unis
Genre : Forêt Hantée
Durée : 44 minutes
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 7/10
Curse contre la montre
Peut être le coup marketing le plus brillant de ces trente dernières années dans l’industrie cinématographique, The Curse of Blair Witch a pavé le terrain pour le succès que l’on connaît tous au Projet Blair Witch. Le génie réside dans le fait d’avoir parfaitement compris son époque et ses enjeux technologiques, notamment internet. Un site consacré au projet filmique de trois étudiants en cinéma disparus en 1994 voit le jour au cours de l’année 1999. L’ultime bobine de leur documentaire aurait été retrouvée, exposant enfin la vérité sur leur disparition, cinq ans après les faits. S’y greffe ce faux documentaire de 45 minutes diffusé à la télé américaine le 11 juillet 1999, soit trois jours avant la sortie du film Blair Witch en salles, censé révéler la fameuse dernière bobine.
Au-delà de la multiplication des supports de promotion, c’est le jeu novateur sur le choix des médias exploités qui a permis un tel emballement. Internet en est à ses balbutiements, utilisé notamment par les jeunes pour échapper à la télévision des générations précédentes (ce qui sera la cas tout au long des années 2000). On parle ainsi au public cible du cinéma d’horreur, les adolescents et jeunes adultes. Dans le même temps, le tube cathodique qui trône au centre de tout salon digne de ce nom a encore le vent en poupe. Surtout, ce dernier est perçu comme vecteur de la réalité. La télévision, c’est là où sont diffusés les informations, les reportages et les documentaires. Il est certes un reflet déformant de la réalité, mais il évoque aux spectateurs un reflux du monde extérieur, porte étendard d’une certaine véracité. Parvenir ainsi à diffuser The Curse of Blair Witch dans un cadre domestique, où la fonction est différente de celle d’une salle de cinéma avant tout fictionnelle, sans en dévoiler la supercherie, est un brillant tour de force accentuant l’authenticité du projet.
Pour ce faire, les deux réalisateurs, en parallèle du Projet Blair Witch, montent ce documentaire et créent un véritable univers, oscillant sans cesse entre faits historiques et légendes. Pourquoi ces jeunes auraient disparus sans laisser de traces au fin fond de cette forêt ? The Curse va alors s’évertuer à recouper les sources et les informations, engendrant toute une mythologie autour de la forêt de Blair. On remonte le fil de l’Histoire jusqu’au 18e siècle avec des récits de colons terrifiés, de sorcières, de disparitions étranges et de rituels sataniques. Couplé à des interviews de spécialistes, de proches des disparus mais également d’habitants lambdas, les deux jeunes réalisateurs utilisent toutes les cordes du documentaire pour en créer un de toutes pièces.
Il est ainsi fait mention d’un tueur d’enfants qui aurait sévi dans les années 50 nommé Rustin Parr. Rustin Parr est en fait l’anagramme de Rasputin. Le tout permet d’implanter un décor, un folklore et une certaine progression dramatique. On a retrouvé les bandes d’un groupe d’étudiants disparus, mais pourquoi est-ce si important ? En usant du genre de la légende urbaine, Myrick et Sanchez fabriquent une attente, font monter la tension et stimulent l’imagination du spectateur. Sans donner de réponse définitive et laissant libre cours aux théories et interprétations du public, le duo fait preuve d’une ingéniosité assez dingue pour détourner la forme cinématographique et briser la suspension d’incrédulité.
La campagne marketing du Projet Blair Witch avait commencé dès le début de l’année 1999 en demandant aux trois acteurs de disparaître des radars. L’équipe voulait créer la sensation avant la première projection de la version finale du film à Sundance. Version finale car les mois précédents les réalisateurs ont diffusé leur long-métrage dans de petits festivals d’horreur afin d’avoir des retours du public et pouvoir modifier leur film en conséquence. L’histoire autour du tueur Rustin Parr a ainsi été shootée suite à ces retours. Derrière le côté brut et immédiat se cache finalement un travail minutieux mieux préparé qu’il n’y paraît. Des calculs dont font partie ce Curse of Blair Witch, conférant à l’ensemble de l’entreprise une dimension crros-media en avance sur son temps. Jouant sur tous les tableaux, exploitant astucieusement les outils à sa disposition, le documentaire se conclut sur l’affiche «Missing» de ses trois protagonistes. Une image glaçante, annonçant une plongée dans l’horreur au réalisme jamais vu sur un écran de cinéma. Mais est-ce bien toujours du cinéma ?