Réalisateurs : Andrew Lau et Alan Mak
Année de Sortie : 2003
Origine : Hong-Kong
Genre : Thriller / Policier
Durée : 1h58
Thibaud Savignol : 6/10
Exilé
Sorti seulement trois mois après le second opus dans les salles hongkongaises, Infernal Affairs III vient conclure une trilogie qui aura marqué le polar made in Hong-Kong. Retour des stars du premier opus, Tony Leung et Andy Lau, pour une conclusion bancale mais pas dénuée d’intérêt. Les scénaristes décident de narrer deux récits en parallèle. Mort de Yan/Tony Leung à la fin du premier opus oblige, on assiste aux derniers mois de son existence, comment il se lie à sa psychologue ainsi que la perte de confiance de Sam à son égard, chef mafieux impitoyable. A l’inverse, on retrouve Ming/Andy Lau quelques mois après leur confrontation, promu aux Affaires internes. Il suspecte Yeung, chef de la Sûreté, d’être lui aussi une taupe de Sam, tandis que ce dernier essaye de conclure une nouvelle affaire avec un mafieux chinois, Shen.
Il n’est pas impossible de voir cet ultime opus comme une œuvre opportuniste. Après avoir solidement raconté le passé de ses personnages, et dans l’incapacité de poursuivre un final originel trop meurtrier, Andrew Lau et Alan Mak font une sorte de compromis Ils poursuivent la trame principale initiée l’année précédente, tout en usant plus que de raison d’une intrigue située dans le passé. Essayant de retrouver le rythme et la nervosité de leur premier essai, ils renouent avec cette time-line dans le but de l’étirer, de la disséquer jusqu’à la moindre zone d’ombre. On assiste à une tentative un peu vaine de combler à tout prix les vides laissés à l’imagination du spectateur dans le film précédent.
Exemple le plus parlant, toute l’intrigue entre Yan et sa psychologue. Subtilement développée dans le premier Infernal Affairs, suggérant une relation à en devenir, ce troisième opus balaie d’un revers de la main tout romantisme feutré pour afficher une histoire d’amour des plus banales. De manière générale, toute la partie concernant Yan peine à convaincre. Malgré le toujours impeccable Tony Leung, qui campe un infiltré plus excentrique et cocasse pour cette suite, ses péripéties ne sont qu’une redite des précédentes : sa relation chancelante avec Sam, ses rencontres avec le commissaire Wong ou des actions armées obligatoires pour légitimer sa position.
A l’image d’une séquelle qui peine à se renouveler, écraser par la puissance de son prédécesseur. Le scénario se veut plus alambiqué, multipliant les temporalités, poussant l’argument final du premier opus à son paroxysme, à savoir un nombre de taupes infiltrées impossible à déterminer, peu importe le camp. On ne peut être sûr de personne, flic ou gangster. Un sentiment de redite s’installe, voyant une nouvelle organisation pointer le bout de son nez, devenant la nouvelle cible de la police hongkongaise. Yeung, apparaît ainsi comme le nouveau personnage ambigu de la saga. Traqué par Ming, qui voit en lui une nouvelle taupe au sein de l’institution, son intégrité est perpétuellement questionnée. Bénéficiant du secret d’état, chacune de ses actions provoquent la confusion. Le film répète ainsi continuellement les mêmes enjeux, illustre à nouveau le fameux «un pays, deux systèmes», et pousse sa logique paranoïaque dans ses derniers retranchements. D’ailleurs, l’apparition d’un mafieux chinois ne symbolise-t-elle pas toute l’ambivalence d’un État désormais placé sous tutelle, troublé face son devenir ?
Rejouant les mêmes schémas ad vitam æternam, entre filatures, confrontations musclées, deals foireux et suspicion générale, Infernal Affairs III parvient pourtant à surprendre, à travers le personnage de Ming/Andy Lau. Seul survivant du carnage originel, la fin du premier film laissait entendre qu’il comptait se ranger du côté de la loi, définitivement. Alors que la première partie installe le doute sur ses motivations personnelles, la progression du récit permet un nouvel éclairage sur les tiraillements profonds du personnage. Englué dans une partie classique d’influence hiérarchique, à la recherche du coupable, Ming va apparaître beaucoup plus perturbé que son faciès impassible ne sous-entend. Il s’identifie de plus en plus à Yan, le flic infiltré qu’il a affronté quelques mois plus tôt, comme extension, voire remplacement de sa propre identité. N’ayant plus de lien avec les triades suite à la mort de Sam, ne luttant plus pour protéger sa couverture, qui est-il vraiment ? Quel est désormais son but ?
Le plan final du premier film laissait entendre que Ming avait dorénavant pris la place de Yan, qu’il attrapait au vol une seconde chance et que son avenir s’écrivait au sein des forces de l’ordre. Mais comment renier son passé et ses origines, et embrasser définitivement une personnalité qui était censée être factice pendant tant d’années ? Amorcé lors d’une séance chez le psy qui met en scène à la fois Yan et Ming dans un même espace, s’affranchissant des lois du réel (Yan est déjà mort à ce moment), ce trouble de l’identité s’achève lors d’une dernière partie surprenante, achevant de faire de Ming la grande figure tragique de cette trilogie. Il n’est plus le remplaçant, le substitut, mais incarne définitivement l’autre et apparaît comme le point d’orgue des thématiques du double et de la schizophrénie qui irriguent la saga depuis son commencement.
Ce troisième volet est la conclusion logique d’une fresque sans équivalent. Malgré certaines redondances scénaristiques et l’absence de scènes iconiques, le duo de réalisateurs confirme une mise en scène solide et efficace. Mais surtout ils cristallisent tous les enjeux mis en place lors des films précédents. Là où le premier constituait un shot d’adrénaline redoutable, le second approfondissait un univers, des personnages et des destins. Dès lors, Infernal Affairs III n’est pas tant une suite traditionnelle que la somme de ses prédécesseurs. S’étant attachés aux protagonistes, ayant partagé leur vie, leurs drames, leur mort, le film peut rejouer la même histoire, s’appuyer sur le même casting jusqu’à son final explosif et déchirant. L’épilogue, miroir du dernier plan du second opus, fait résonner les soûtras bouddhistes affichés lors de chaque générique. L’enfer et la souffrance sont éternels. Personne n’échappe à son destin.