Réalisateur : Josef Rusnak
Année de Sortie : 1999
Origine : États-Unis / Allemagne
Genre : Réalité Virtuelle
Durée : 1h40
Thibaud Savignol : 6/10
Passé de mode
Au-delà de la qualité intrinsèque d’une œuvre, certaines ont plus de chance que d’autres. Pour Passé virtuel, sa sortie coïncide avec celle de Matrix. Pas vraiment l’idéal pour un film de science-fiction qui aborde les mondes virtuels et questionne leur réalité. Le mastodonte des sœurs Wachowski sort deux mois avant, que ce soit en France ou aux États-Unis, écrase tout sur son passage et obtient la notoriété qu’on lui connait aujourd’hui. Forcément, pour Passé virtuel, il ne reste plus que des miettes. Bien que moins impressionnant techniquement et plus intime, il possède une identité assez marquée pour tirer son épingle du jeu. Peu cité aujourd’hui, il bénéficie pourtant d’une certaine popularité à la vue des notes moyennes obtenues sur les internets.
Solidement installé aux États-Unis suite aux énormes succès d’Independance Day et Godzilla, Roland Emmerich peut désormais enfiler la casquette de producteur sur d’autres projets que les siens. Déjà adapté en 1973 par Fassbinder avec Le Monde sur le fil, téléfilm maous de plus de 3h, Simulacron 3 de Daniel F Galouye se voit à nouveau porté à l’écran ici. Des ingénieurs en informatique ont conçu une ville virtuelle située dans les années 30 où tous les habitants sont dotés de leur propre conscience. De retour dans notre monde après l’une de ses projections, l’un des créateurs est assassiné. Son associé, Douglas Hall, est rapidement suspecté. Une course contre la montre s’engage pour découvrir la vérité. Un Douglas Hall/Craig Bierko dont l’autre rôle marquant de sa filmo fut le drôlissime (si,si) Scary Movie 4.
Contrairement à ce que ce synopsis très moderne pourrait laisser penser, il est assez bluffant de constater que l’ouvrage d’origine date de 1964. A une époque où le virtuel n’était qu’un vague fantasme futuriste, le roman abordait un domaine encore peu exploré et s’interrogeait surtout sur la réalité de chaque monde et la notion de réalité qui s’y rattache. Si les personnes d’un monde virtuel sont persuadées de leur propre existence et témoignent d’une humanité similaire à la nôtre, alors comment définir le réel ? Là où l’œuvre d’origine situait notre univers dans la même époque que celui simulé, Passé Virtuel choisit de scinder distinctement les deux. Le monde «fictif» nous plonge plusieurs décennies en arrière, ce qui offre aux protagonistes une expérience supplémentaire, celle de pouvoir redécouvrir une époque révolue. Rusnak utilise des artifices simples en apparence mais redoutables d’efficacité. Les années 30 sont filmées à travers un filtre sépia, amenant ce côté vintage et désaturé, là où le présent est une représentation contemporaine plus traditionnelle, que seules viennent perturber les énormes machines de réalité virtuelle.
Reprenant la trame d’un Blade Runner, entre interrogations technologiques et film noir à l’ancienne, personnages ambigus et héros solitaire, il parvient rapidement à faire oublier ses modèles, grâce à une intrigue sans temps mort et un équilibre savamment dosé entre science-fiction et thriller plus classique. Alors que le monde virtuel en question n’était qu’au stade expérimental, les événements vont pousser Douglas Hall à y plonger à son tour pour faire le lien entre deux mondes qui semblent plus liés que leur apparente dichotomie. A mi-parcours un twist malin et complètement raccord avec les thématiques abordées vient relancer l’intérêt du récit. La porosité entre les mondes et le rapport au réel s’en trouvent bouleversés. On regrettera alors un épilogue un peu factice et vite expédié, qui propose certes un régime d’image supplémentaire accentuant le propos principal mais dont la brièveté reflète sans doute une contrainte de durée imposée au montage.
Les sorties croisées de Matrix et Passé Virtuel appuient la théorie qui veut que certaines idées, certains pensées créatives, sont dans l’air du temps à certains moments. Après de nombreux essais sur la réalité virtuelle et le numérique durant les années 90 (Le Cobaye, Programmé pour tuer et tant d’autres), une réflexion jusqu’au-boutiste s’imposait alors sur la relativité du réel. Matrix l’a fait a son échelle, combinant le film d’action survolté et novateur à la réflexion philosophique. Passé virtuel, dans l’ombre, et pour un budget bien moindre, a prolongé ces pensées, les a fait siennes à son tour. Moins marquant, plus classique, il apporte pourtant une alternative bienvenue sur le virtuel et sa coexistence avec la chair.