Réalisateur : Philippe Grandrieux
Année de Sortie : 1998
Origine : France
Genre : Odyssée Dépressive
Durée : 1h58
Thibaud Savignol : 7/10
Where Hope And Daylight Die
A l’instar de McNaughton et son Henry : Portrait of a Serial Killer, Philippe Grandrieux nous plonge dès son premier film au cœur des affres de l’âme humaine. Pas grand chose à résumer pour présenter le récit, si ce n’est l’errance de Jean, entre relations sordides et meurtres, puis sa rencontre avec Claire, phare dans sa nuit sans fin. Au pays du ciné-roman, une œuvre pareil détonne. Loin de dérouler un scénario méthodologiquement très écrit, Sombre enchaîne les scènes comme temps forts permanents sur les quelques jours qui ponctuent le récit. Rien n’est programmatique, impossible d’anticiper les événements à venir, juste se laisser emporter par la fougue du moment. Rien ne sera jamais expliqué, justifié ou analysé. On nous livre des êtres humains bruts, dénués d’artifices, comme emportés par la propre spirale de leurs émotions. Poussant ces relations dans les extrêmes, sans jamais prendre parti, le réalisateur ne détourne jamais le regard et dresse le portrait frontal d’une romance à la lisière du malsain, violente, noyée dans ses propres torrents passionnels. Votre boussole morale sera le seul juge des actes à venir.
Grandrieux continue d’explorer la veine expérimentale de ses précédents travaux par le prisme d’une mise en scène sensorielle, dénuée du moindre artifice. Tourné en vidéo, comme vecteur d’hyper réalisme, le film rend l’ensemble âpre, rugueux, parfois irrespirable. L’image se veut naturelle, pour plonger au plus profond des abîmes. C’est poisseux, par moments irrespirable. Sombre porte bien son titre, avec ses couleurs désaturées, voire par moment délavées par le bruit vidéo, ses ambiances mortifères et ses intérieurs déprimants. On est constamment collés aux corps et visages des personnages, notamment dans une seconde partie intense où les plans larges disparaissent, ne laissant plus aucune échappatoire au spectateur. Culminant lors d’une fin de soirée sordide entre passage à tabac et tentative de viol, la tension redescend le temps d’un dernier quart d’heure qui oscille entre tendresse espérée et pulsion de mort impossible à refréner.
Rarement œuvre de fiction n’a été aussi dépressive, témoignage d’une humanité sous son jour le plus sombre. C’est là l’une des grandes forces du film, de décrire des personnages tourmentées mais conscients, monstrueux mais humains, sans jamais les pointer du doigt. Comme pour le classique de McNaughton, le réalisateur français s’affranchit des distances, nous plonge dans le quotidien froid et déshumanisé de son protagoniste. Il n’est jamais question de capter un autre point de vue que le sien ; ceux qui croisent sa route ne sont que des ombres de passage dans son cerveau malade. Loin des archétypes traditionnels du cinéma, que ce soit pour définir un tueur ou une victime d’ailleurs, le film s’évertue à brouiller les pistes, à refuser au spectateur la dimension psychologique qu’il attend. Grandrieux met en scène des névroses tout autant qu’un amour infini. Sans défendre, ni condamner, il est seulement question d’un possible, de faire face à toute la complexité de l’âme humaine, à ses plus grandes contradictions.
Tourbillon de sexe et de violence, de mort et de vie, Sombre est une expérience qui ne laisse pas indifférent, détestable pour les uns, signifiante pour les autres. S’appuyant sur un minimalisme glacial et une musique dissonante, le film happe le spectateur dans son univers étrange, aux routes nébuleuses, aux forêts torturées, miroir d’une sensibilité d’écorché vif.