Réalisateur : Alex Proyas
Année de Sortie : 2004
Origine : États-Unis / Allemagne
Genre : Robots Dangereux
Durée : 1h55
Thibaud Savignol : 6/10
Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?
La réalité ne cesse de rattraper la fiction. Le 20e siècle, marqué par l’entrée dans l’âge moderne et l’essor de la technologie au quotidien, chercha à transformer les outils de l’Homme en double de lui-même. Plus que la création de simples accessoires pour nous soulager de notre labeur, il était temps de jouer à Dieu, après l’avoir tué, et de créer nos semblables. Vus de prime abord comme une simple substitution au travail manuel, les robots devinrent le défi de cette nouvelle ère, dans une course égotique effrénée, jusqu’à parvenir à se recréer nous-mêmes. Si c’est d’abord par la forme qu’on tenta l’imitation, progressivement il devint primordial de reconstituer pas seulement notre apparence, mais la substantifique moelle de notre existence.
Dès 1950, Asimov mettait en place ces célèbres trois lois de la robotique, empêchant toute machine de s’en prendre à un être humain, volontairement ou non. Alors encore un argument de SF pur et dur, 50 ans plus tard ce postulat de départ est mis au goût du jour sous la plume de Jeff Vintar, face à la montée inarrêtable de l’envahissement des machines dans notre quotidien, et de robots toujours plus anthropomorphes. Alex Proyas hérite du projet, lui qui a aussi bien connu le succès (The Crow) que la déroute commercial (le désormais culte Dark City). Bien qu’I, Robot fera un carton au box-office, le réalisateur australien gardera un souvenir amère du tournage, parasité par l’ingérence du directeur de la 20th Century Fox en personne, Tom Rothman. Un conflit les opposa longtemps sur la fin à donner au long-métrage, Proyas réussissant à imposer sa vision in fine.
À Chicago en 2035, tandis que la population évolue désormais aux côtés de robots serviteurs, l’inspecteur Del Spooner (Will Smith) est dépêché au siège de l’USR pour enquêter sur le suicide d’un scientifique renommé. Malgré les réticences du PDG et de sa propre hiérarchie, il semble que quelque chose se trame derrière cette mort suspecte. Aidé par la robopsychologue Susan Calvin, il découvre un robot autonome, Sonny, débarrassé des trois lois et possédant son propre libre arbitre. Ce dernier les guidera vers des révélations quant à la survie de l’espèce humaine. Faisant fortement écho à la trame de Blade Runner (une enquête sur des machines libérées), et à Ghost in the Shell pour ses questionnements philosophiques (en moins poussés), I, Robot parvient à tracer sa propre voie, illustrant ce fantasme intemporel de recréer corps, conscience, sentiments et âme humaine.
Le scénario a clairement subi des retouches pour d’abord répondre à une logique de blockbuster testostéroné, mais garde en lui les réminiscences des interrogations originelles. Si la priorité est d’ériger la technologie future en menace, à l’instar de Skynet dans Terminator, les séquences mettant en scène l’apprentissage d’une humanité chez Sony ainsi que l’évolution du personnage de Spooner (hostile aux robots), permettent de nuancer le propos. Comme si toute création, organique ou numérique, ne pouvait qu’aboutir à la naissance d’une altérité, d’une nouvelle entité. Cela peut provenir d’un code aléatoire comme l’explicite le film, mais à l’image de la naissance du virus informatique comme propre conscience de Ghost in the Shell (à nouveau), une nouvelle forme peut naître de l’inconnu.
Le film interroge surtout notre propre obsession à nous remplacer par des êtres doués avant tout d’un raisonnement à la logique implacable, mais dénués du ressenti nécessaire pour prendre parfois les décisions justes, au-delà de toute rationalité. Tout calcul, aussi parfait soit-il, ne garantit pas la réussite totale d’une quelconque entreprise, nous ramenant au célèbre adage, «le mieux est l’ennemi du bien». Mais en retour, Sonny questionne notre unicité et notre rapport de pouvoir imposé à nos propres créations (c’est clairement de l’esclavage), comme si nous étions les seuls garants d’un équilibre et d’une raison d’être, alors que nous possédons en nous les germes de notre auto-destruction (rancœurs et sentiments qui débouchent sur la mort).
Toute cette réflexion, même si souvent supplantée par l’action, permet au long-métrage de faire ce pas de côté nécessaire pour ne pas tomber dans l’actionner lambda oubliable. D’un point de vue technique les créations numériques résistent au poids des années, notamment Sonny, et Pryoas s’amuse de sa caméra pour iconiser ses temps forts (le climax et ses mouvements improbables décuplent la sensation de vertige). Impossible de ne pas penser à John Woo lorsque Will Smith s’élance de sa moto, grand imper au corps et deux flingues en avant au ralenti, pour exécuter ses opposants. Le rythme ne faiblit pas, et alors que l’enquête paraît assez lambda, les dernières révélations et fulgurances réussissent à faire du cœur du film plus qu’une bête opposition homme/machine, changeant de point de vue lors d’un dernier plan annonciateur d’une nouvelle ère.