Réalisateur : Stuart Gordon
Année de Sortie : 1996
Origine : États-Unis / Royaume-Uni / Irlande
Genre : Science-Fiction Routière
Durée : 1h35
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 5/10
Suce ma Bud !
Fraîchement accueilli par la critique lors de sa sortie, Space Truckers confirmait pourtant tout le talent de son réalisateur, qui devenait l’égal potentiel d’un Paul Verhoeven, ou du moins son versant dans le monde de la série B. La vérité c’est que l’on ne sait pas vraiment qui à inspiré l’autre lors de l’élaboration de leurs fresques science-fictionnelles communes. La direction artistique de Robot Jox semblerait en tout cas avoir inspiré le hollandais violent pour Starship Troopers, notamment à travers sa représentation d’un futur totalitariste et dystopique, aux antipodes du roman d’origine de Robert Heinlein, qui été plutôt favorable à l’impérialisme yankee, ainsi que par certains choix visuels qui s’en rapprochent étrangement. Le film s’accorde en tout cas beaucoup plus à la verve satirique et critique d’un Joe Haldeman (La Guerre Eternelle), qui avait d’ailleurs codirigé le script du film de Gordon.
La vérité c’est que ce dernier n’a jamais eu autant de velléités politiques, mais était tout autant un auteur particulièrement transgressif en son genre, qui aimait à se complaire dans des excès gores hérités du théâtre grand guignol. La différence, c’est que si le natif de Chicago n’a jamais obtenu la reconnaissance artistique qu’il méritait, c’est souvent parce que ses films semblaient quelques peu dépassés par rapport aux modes et technologies de l’époque au moment de leur sortie, des «défauts» que d’autres observateurs, comme l’auteur de ces lignes, verront plutôt comme des qualités. Dolls ou Robot Jox abondaient notamment d’effets en Stop-Motion, une technique d’animation artisanale qui suscite beaucoup de nostalgie et qui revient à la mode depuis quelques années, à la différence des effets spéciaux en image de synthèse qui vieillissent instantanément. Space Truckers souffre justement de cet état de fait, notamment à cause de ses incrustations assez cheap, mais possède néanmoins ce charme suranné des années 90, à l’instar du Alien La Résurrection de Jean Pierre Jeunet, également sorti la même année.
Tourné en Irlande pour 25 millions de dollars, Space Truckers est le film de tous les excès, et encore, puisque nous avons échappés à un équipage de pirates lesbiennes affublées d’un vaisseau rose bonbon. Le réalisateur ne semble en tout cas pas s’être assagi avec le temps, loin s’en faut. Saluons d’ailleurs le travail du ou des petits malins responsables des récents sous-titres français, qui se sont visiblement lâchés en taclant gentiment la Macronie et les conneries d’identités genrées non binaires inclusives des hurluberlus de la génération Z, qui passent un peu trop de temps devant Tik Tok. Ces plaisanteries sont de bon ton, étant donné la légèreté parodique du film, et le rendent d’autant plus visionnaire pour l’époque.
L’histoire relate le quotidien d’un camionneur de l’espace indépendant qui en acceptant de transporter une cargaison sensible, va se retrouver aux prises d’un dangereux groupe de pirates, avant d’être mêlé à un complot visant à prendre le contrôle de la planète Terre. Dans sa note d’intention, Gordon semblait vouloir livrer un space-opera satirique, montrant le prolongement du capitalisme sauvage au-delà des frontières de la Terre. En atteste d’ailleurs sa scène d’exposition sur cette station orbitale entièrement dévolue à la société de consommation, bardée d’affichages et de spots publicitaires, ou bien cette cargaison de cochons cubiques empaquetés dans des cages à lapins et destinés à l’abattoir. Plutôt que de s’appesantir dans une représentation réaliste et froide de la conquête spatiale, le réalisateur s’en éloigne pour livrer le parfait guide du routard, via un pastiche extravagant et coloré d’un kitsch assumé, plus proche du Cinquième Élément ou éventuellement de Total Recall.
En l’espace d’une heure et demie, Gordon livre un univers foisonnant dérivé du cinéma bis, enchaînant les situations cocasses et excessives avec beaucoup d’humour : le déshabillage dans le cockpit du Pachyderme, le cyborg qui peine à faire fonctionner son robot-bite, le règlement de compte dans un bar qui finit par dégénérer ou encore les effets gores confectionnés par Screaming Mad George. Il n’oublie pas non plus de livrer des personnages caractérisés à l’excès et affublés de costumes ridicules aux couleurs criardes. Tout le film est un véritable melting-pot de références bien agencées et d’influence diverses et variées (les vaisseaux inspirés d’Albator et de Galaxy Express 999, les robots biomécanique conceptualisés par Hajime Sorayama), mariant le monde des gros bras de la logistique et de ses spécificités (resto routiers, customisation des tracteurs routiers souvent ringardes) aux arts populaires américains hérités de la route 66 et du Rock’n Roll (affichage publicitaire et décors rutilants, musique country et autres excentricités propice au mauvais goût).
Le sujet semblait en tout cas idéal à exploiter dans le cadre d’un film de science-fiction, et ne pouvait que passionner son principal interprète Dennis Hopper, qui avait livrer l’un des meilleurs road-movie de sa génération avec Easy Rider. Sur le plan de la mise en scène, le réalisateur s’autorise prises de vue aériennes et décadrages ambitieux, plutôt raccords avec l’absence de gravité terrestre, même si on verra parfois les fils apparents lorsque les acteurs se mettront à voltiger dans le décor. Néanmoins, ses excès humoristiques souvent absurdes et potaches nuisent à la crédibilité de l’ensemble et tendent à faire dériver le film vers le nanar, d’autant que le scénario ne sait plus trop où nous emmener lors de sa résolution finale noyée de bons sentiments. Certains n’y verront donc qu’un naveton d’ampleur cosmique, expliquant d’ailleurs son échec critique et financier. Pourtant, lors de ses fulgurances, Space Truckers n’a rien à envier aux meilleurs space-opera du même genre. À l’instar de son personnage principal, Gordon aura en tout cas su conserver son intégrité quelques soient les impératifs de production, mais surtout son indépendance tout au long de sa carrière, même si cela lui aura certainement coûté sa réputation aux yeux de l’industrie.