Réalisateur : Rachel Talaley
Année de Sortie : 1993
Origine : États-Unis
Genre : Serial Killer Digital
Durée : 1h44
Thibaud Savignol : 6/10
Cyber Dahmer
La première partie des années 90 constitue l’âge d’or du thriller domestique, où des familles sont terrorisées et prises à parti par des maniaques et autres névrosés sexuels. On pense évidemment aux Nerfs à Vif de Scorsese et à Troubles sortis tous deux en 1991 ou encore à Fleur de Poison en 1992, épisode inaugural d’une trilogie sexuellement plus gratinée. Dans le même temps, la mouvance cyberpunk et le jeu vidéo commencent eux aussi à envahir les salles obscures (Freejack, Le Cobaye). Le Tueur du futur, ou Ghost in the Machine dans sa version originale, se positionne au croisement de ces deux nouvelles tendances.
De la première il hérite d’un scénario vicelard et oppressant qui voit une mère célibataire et son fils, pure tête à claques nineties, devenir les proies d’un tueur en série ayant pour habitude de s’introduire chez ses victimes afin de massacrer l’entièreté des résidents. De la seconde, il réutilise les nouveaux outils technologiques mis à sa disposition tel que le développement de l’image numérique, tout en les greffant au cœur même de son récit. Le tueur, qui meurt dans le premier quart du film lors d’un banal accident de la route, voit son âme transférée dans les circuits électriques de l’hôpital (le stagiaire avait encore sûrement fait n’importe quoi avec le scanner), et par conséquent dans le néant d’Internet.
Très classique dans le fond, le nouveau mode opératoire du tueur, entre traque informatique facilitée par sa nouvelle forme et infiltration des réseaux électriques, rend la menace omnipotente et immunisée à toute répression extérieure. En effet, la mère célibataire (la toujours sublime Karen Allen) et son fils ne font face qu’à l’incrédulité de leurs interlocuteurs, et peut-on vraiment leur en vouloir ? Mises en scène avec une imagination un brin sadique, les meurtres appariassent plus comme de stupides accidents domestiques que comme une signature humaine.
La réalisatrice Rachel Talalay, habituée au cinéma de genre (elle a produit le 4e Freddy, l’un des meilleurs, et réalisé le 6e, l’un des moins bons), s’en donne à cœur joie pour mettre en scène les méfaits du tueur. Que ce soit par l’explosion d’un micro-ondes, où la caméra se faufile le long des câbles électriques, où lors du du dysfonctionnement fatal d’un lave vaisselle, elle n’est pas avare en trouvailles visuelles, bien aidée par des effets numériques balbutiants mais libérateurs de l’espace réel.
Bien avant Fincher et ce plan millimétré à travers l’anse d’une cafetière dans Panic Room, Rachel Talalay s’amusait déjà à mettre sa caméra au fond d’un évier pour adopter le point de vue du broyeur, hélice au premier plan et potentiel destructeur effrayant. On retiendra également ce joli plan séquence en intérieur qui finit par révéler les atrocités perpétuées par notre assassin lorsqu’il possédait encore son enveloppe charnelle, ou encore son transfert à hôpital suite à son accident, tout en vue subjective et courtes focales agressives. Comme si sa vision torturée et déformée du monde n’attendait plus que l’étape supérieure, celle d’un pouvoir quasi divin dont il disposera pour le reste du film.
Pour illustrer le non représentable cher à la littérature cyberpunk (le courant électrique, les méandres du net), l’émergence du numérique pousse les réalisateurs du début des années 90 à embraser ce nouvel outil. On pense évidemment au Cobaye sorti l’année précédente, avec ses expérimentations visuelles improbables, datées aujourd’hui, mais représentatives d’un fantasme propre à l’imagerie numérique. Une période créatrice dorée qui va dès lors innerver tout ce courant pour les années à venir, jusqu’à ce que Matrix vienne sonner la fin de la récréation via son approche innovante et moins débridée. Ce sont ici d’étranges balbutiements qui prennent forme, très colorés, aux formes très grossières, en décalage total avec l’intrigue principal et son ancrage dans une réalité quotidienne bien concrète. Mais c’est bien là que réside tout l’intérêt d’un tel long-métrage : la confrontation entre deux régimes d’images.
Une obsession qui culmine lors d’une scène de réalité virtuelle, où deux protagonistes s’affrontent dans un jeu de tir. Leurs visages sont greffés à des corps entièrement numériques, tout comme le sont les décors où ils évoluent. L’assassin apparaît alors, sa forme humaine vivante entièrement numérisée. Anachronique aujourd’hui, la séquence se rêve comme l’abstraction totale entre deux réalités, où le réel se fond et se réinvente à l’aune des technologies numériques.
Plus qu’un gadget, c’est encore une fois l’exorcisation des névroses dues à l’apparition, au développement et même à l’invasion des nouvelles technologies au cœur des foyers. Depuis la littérature science-fictionnelle des années 50 (Asimov et ses Robots en tête), jusqu’à plus récemment le Terminator de James Cameron, l’Occident frissonne à la vision des machines, s’angoisse du potentiel destructeur que pourrait contenir ces inventions. Face à l’inconnu de ces technologies non maîtrisées au pouvoir encore difficile à cerner, et désormais que la menace soviétique n’est plus, n’incarneraient-t-elles pas un nouveau Némesis ?
Encore à ses débuts, Internet représente tout un champ des possibles, dont l’homme moderne parvient à peine à saisir l’immensité. Le croisement entre les genres, avec le thriller technologique aux relents cyberpunk manifestes, moins dans sa vision d’un futur sans espoir que dans l’assimilation qu’il fait des nouvelles technologies, apparaît ainsi comme le cri d’une société désemparée face à ses propres créations, sources de cauchemars aux formes sans fin et sans limite. D’où le fantasme du nerd, de l’informaticien comme nouveau héros de l’American Way of Life, sauveur des foyers en détresse, car seul rempart face aux déflagrations d’une boîte de pandore ouverte sans retour possible. Déboule ainsi Bram Walker, jeune ingénieur informatique comme sauveur d’une famille terrorisée.
Au pays de l’oncle Sam, on n’affronte désormais plus les grands méchants grâce à ses muscles saillants et le plus gros pétoire de l’armurerie, mais seulement muni d’un clavier, d’une souris et d’une solide connexion 56k.