
Réalisateur : Vincenzo Natali
Année de Sortie : 2003
Origine : États-Unis
Genre : Paranoïa Technologique
Durée : 1h35
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 5/10
Rubik’s Cube Cérébral
Il est amusant d’entendre Vincenzo Natali dans les bonus du Dvd évoquer une grève des scénaristes et acteurs qui risquait de paralyser le projet. Peu importe l’époque, plates-formes de streaming ou non, intelligence artificielle ou non, les rapaces en costards ne datent pas d’aujourd’hui. Financé par le studio indépendant Pandora aux reins beaucoup moins solides qu’une major, la préparation du long-métrage est alors raccourcie à 6 semaines et le tournage à 35 jours. Réputé pour sa rapidité d’exécution, Natali tire profit des 7 millions de dollars qui lui sont alloués pour soigner l’apparence de son film : de nombreux décors, des effets spéciaux numériques et un zest d’action.
Paranoid
Morgan Sullivan décide d’intégrer Digicorps, société spécialisée dans le renseignement industriel. Dorénavant espion pour la compagnie, il assiste à différentes conférences à travers les États-Unis pour récoler des informations. Alors qu’il commence à s’identifier à sa nouvelle personnalité, Jack Thursby, la mystérieuse Rita vient chambouler sa croyance en lui révélant qu’il subit un lavage de cerveau de la part de Digicorp. Une course contre la montre s’engage en quête de sa véritable identité. Citant Chinatown comme inspiration, le scénariste Brian King livre un récit à la première personne, focalisé tout du long sur son protagoniste principal.
Tout est découvert à travers ses yeux, au même moment que lui, sans que jamais le spectateur ne bénéficie d’information à l’avance. Sorte de plongée dans la psyché d’un individu tiraillé entre ses multiples personnalités, réelles ou fictives, le motif de l’identité apparaît comme le moteur principal de la narration. Vincenzo Natali l’a bien compris et façonne sa mise en scène pour répondre aux besoins de l’intrigue. Il cite au passage Opération Diabolique et Un Crime dans la tête, deux classiques de John Frankenheimer.
Chacun à sa façon, une opération novatrice pour le premier et une enquête des services secrets pour le second, triture l’identité de ses protagonistes pour expérimenter un nouveau rapport à soi. Dans le même élan, le réalisateur canadien s’évertue à maintenir son dispositif, à ne pas dévier du point de vue de Morgane Sullivan. Jamais le regard d’un tiers ne vient perturber le récit, les séquences s’enchaînent avec une logique implacable, course folle d’un homme à la recherche de son passé.

Un manque d’ampleur
Ce parcours s’inscrit dans un univers légèrement futuriste, juste ce qu’il faut pour se présenter comme une dérive de nos sociétés actuelles. Sorti au début du 20 siècle, le film regorge d’influences, volontaires ou non. Alors que Brian King souhaitait adapter la Guerre Froide à une société capitaliste et libérale, où les grandes entreprises sont devenues les nouveaux grands blocs qui s’affrontent pour remplir toujours plus leurs coffres-forts, impossible de ne pas voir les nombreuses influences qui parsèment cet imaginaire.
On pense à Matrix pour cette humanité en partie sous le contrôle d’une puissance supérieure et à Dark City pour les mêmes raisons mais également la quête d’identité de notre héros. Saupoudrez le tout d’une pincée de Truman Show et de quelques miettes d’Invasion Los Angeles pour l’artificialité de la société, et vous vous retrouvez avec un cocktail plutôt atypique mais qui parvient difficilement à créer sa propre voie. Bien que le rythme ne faiblisse pas et que le twist final soit sacrément malin, Natali peine à faire exister son univers.
Volontairement minimaliste, à travers ses décors et des péripéties épurées, il peine à relancer l’intérêt à mi-parcours. A force d’entretenir le mystère, de n’illustrer que les troubles identitaires de son personnage, il passe peut être à côté d’un monde plus vaste à explorer et de thématiques tout aussi percutantes. L’interrogation laisse place à la frustration. Frustration de créer une espèce d’Amérique parallèle, poussant à l’extrême sa standardisation et uniformisation, mais sans jamais l’embrasser totalement.
Combinant la science-fiction conspirationniste des années 90 aux thriller paranoïaques des sixties, tout comme Blade Runner mélangeait les questionnements scientifiques au film noir, Cypher ne parvient pas à maintenir l’équilibre parfait de son modèle. Il préfère se focaliser sur ses enjeux purement hitchcockiens, au détriment des interrogations qu’un tel sujet d’anticipation laissait entrevoir. Bien que correctement emballé, avec par exemple une image qui, au départ monochromatique, évoluera en fonction des avancées du protagoniste, on reste sur notre faim quant aux promesses initiales.