
Réalisateur : Fumihiko Sori
Année de Sortie : 2007
Origine : Japon
Genre : Robotique Avancée
Durée : 1h49
Thibaud Savignol : 6/10
Obsolescence Programmée
Ce n’est pas nouveau, dans l’inconscient collectif le Japon est terre de (nouvelles) technologie(s). Depuis l’essor de Sony, Nintendo et feu Sega, aussi bien du côté des jeux vidéo qu’au rayon son et vidéo, impossible de nier la maîtrise de cet art à l’autre bout du globe. Si rarement les films occidentaux ont mis en avant cette puissance, le Pays du Soleil Levant n’a eu de cesse depuis les années 80 de questionner son propre futur, toujours plus robotique, s’auto-proclamant comme l’un des plus fervents représentants du mouvement Cyberpunk.
Un film sous influences
Des débuts punko-trash de Sogo Ishii et Tsukamato (Burst City et Tetsuo) jusqu’aux sommets philosophiques atteints par Ghost in the Shell et sa séquelle, le devenir des corps bio-mécaniques n’a cessé de tourmenter certains auteurs nippons. Vexille apparaît dès lors comme une réminiscence assumée de cette période faste, sans oublier d’ajouter au passage sa propre pierrette à l’édifice. Se racontant d’ordinaire du côté de leur patrie (exceptée l »inoubliable escapade d’Oshii du côté de la Pologne avec son Avalon), Fumihiko Sori choisit de s’éloigner de sa terre natale, proposant un recul pertinent sur la course technologique qui irrigue son pays depuis des décennies.
En 2077 (tiens, tiens), le Japon célèbre ses dix ans d’isolation, terré derrière un gigantesque bouclier électromagnétique. La raison de cette hibernation à grande échelle ? Contourner les lois votées par l’ONU quant à l’interdiction des recherches sur les nanotechnologie, la biomécanique et surtout la vie synthétique. Lorsque qu’un androïde japonais ultra perfectionné est découvert aux États-Unis, il n’en faut pas plus aux forces spéciales SWORD pour comprendre la menace qui s’érige de l’autre côté du pacifique. Une équipe est rassemblée afin de franchir cette fameuse barrière et récupérer le plus de renseignements possibles. Mais tout ne se passera pas comme prévu, et le commandant Vexille découvrira le sort réservé à la population japonaise.
Aujourd’hui le rendu surprend (presque vingt ans d’âge), mais l’animation dite CG (Computer Graphics) avait alors le vent en poupe au début du siècle. Hironobu Sakaguchi, malgré un flop retentissant au box-office, avait monté la voie en 2001 avec son fantastique Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit. Appleseed, produit pas Fumihiko Soru, lui emboîta rapidement le pas, ce dernier se retrouvant désormais à l’écriture et à la réalisation de ce Vexille 2077. La filiation est bien là, dès les premières images.

Le Dernier Samouraï
Si visuellement le film s’inscrit dans la même démarche, entre photo-réalisme et animation 3D stylisée, il épouse surtout les thématiques de tous ceux qui l’ont précédés. On pense évidemment aux questionnements sur le devenir des androïdes chers à Ghost in the Shell, interrogeant leur quête d’identité, d’humanité, et les nouvelles formes qui naissent de leur fusion, entre enveloppe charnelle humanoïde et robotisation totale sous la carapace. Ici, le devenir de la population tokyoïte, dont on ne spoilera rien, apparaît comme la suite logique du classique de 1995. Mais n’oublions pas Patlabor, également réalisé par Oshii, avec ses forces de l’ordre robotisés devenues iconiques, et un second volet comme modèle insurpassable du thriller politique international.
Le plus intéressant ici est le rapport narratif inversé via la section d’élite américaine (SWORD). Les tensions inter-étatiques sont observées, et surtout racontées, du point de vue occidental. Le Japon est dorénavant la menace en s’étant renfermé sur lui-même pour mieux contre-attaquer. Apparaît dès lors une relecture historique passionnante du Japon féodal, de la célèbre ère Tokugawa débutée au 17e siècle, qui vit le pays vivre en quasi totale autarcie, réduisant ses seuls liens avec l’extérieur aux ports de commerce. Avant que l’expédition diplomatico-militaire du commodore Perry vienne mettre un terme à cette état de fait en 1853, amorçant l’ouverture (forcée) du Pays du Soleil Levant.
Par cet effet de miroir, Sori s’interroge sur la course frénétique de son pays aux nouvelles technologiques, coupé du reste du monde, anticipant de possibles dérives scientifiques et par conséquent éthiques à venir. Si visuellement l’œuvre n’est pas la plus Cyberpunk du répertoire de l’animation nippone, plus proche du post-apo dans sa seconde partie, elle embrasse pour autant les thématiques chères au genre : fusion de l’Homme et de la technologie, perte de l’âme, main mise d’une grande corporation et savant fou en option.
Côté mise en scène, le réalisateur ne cache pas ses références. En plus de celles citées précédemment, il rend hommage aussi bien à Mad Max avec ses bolides customisés chevauchant de vastes étendues de sables qu’aux vers géants de Dune, ici décalques métalliques. Mais il peine à insuffler le même souffle épique que ses modèles. Sori déclare lui-même avoir voulu se rapprocher du live-action à travers une caméra certes mobile mais pas hermétique pour autant aux règles de la physique. Ajouté à la pesanteur des personnages et à une gravité lourde, le tout apparaît un peu mou du genou, là où le médium aurait permis des envolées avec comme seule limite l’imagination. Cette volonté de tendre vers un cinéma «réaliste», comme pour se légitimer en tant qu’art véritable, empêche Vexille d’exploiter totalement le potentiel de l’animation CG.
Aujourd’hui un peu tombé dans l’oubli, le long-métrage fit en son temps sa première au festival de Locarno en Suisse et fut vendu dans 129 pays. Cette animation typiquement japonaise, couplée à l’essor du jeu vidéo, à une époque où le Japon régnait sans partage (Final Fantasy 12 et Okami venaient de sortir), avait forcément le vent en poupe, comme potentielle vision d’un futur proche. Cette modernité du trait et ces enjeux technologiques de demain avaient tout pour connaître le succès. Aujourd’hui, Vexille rejoint la longue liste des œuvres d’anticipation qui ont peut-être trop anticiper, à leurs dépens.