Réalisateur : Rupert Sanders
Année de Sortie : 2017
Origine : États-Unis / Inde / Hong-Kong / Chine / Canada
Genre : Science Fiction Métaphysique
Durée : 1h47
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 6/10
Panne d’Essence
Dès sa sortie le film fait polémique pour un supposé Whitewashing ; l’actrice caucasienne Scarlett Johansson constituerait une trahison vis à vis du Major Motoko Kusanagi, protagoniste 100% japonaise. Ce qui pourrait poser problème pour une œuvre historique ou contemporaine l’est beaucoup moins en vue d’une œuvre de science-fiction, et notamment en ce qui concerne un univers cyberpunk. Le transhumanisme est au cœur du genre lui-même, et questionne en permanence notre rapport au corps et à l’identité. Ainsi, quand une personnalité est enfouie dans ce corps de synthèse, c’est au-delà de la notion de nationalité ou d’ethnie. Récupérée d’un corps sans vie, la conscience est transposée dans ce simulacre de chair et de métal, qui n’est qu’un modèle standard parmi tant d’autres. Alors oui, il se trouve qu’elle est blanche, mais c’est bien toute l’ambiguïté du propos et peut être la seule réussite thématique du film, la seule évolution technologique qu’il transcende : recomposer notre identité au-delà des cultures pré-établies.
Après s’être fait remarquer par ses publicités visuellement prometteuses, dont une pour la célèbre saga vidéoludique Halo, Ruppert Sanders sort grandi de sa première expérience cinématographique avec Blanche Neige et le Chasseur. Succès au box-office mondial et remportant l’adhésion d’une partie de la critique, il est approché pour réaliser le cinquième opus de franchise Pirates des Caraïbes. Grand bien lui fasse il refusa pour se consacrer à cette adaptation live-action de Ghost in the Shell qui traîne dans les placards depuis 2008 chez Dreamworks. Avec un budget de 110 millions de dollars, le réalisateur britannique dispose des moyens nécessaires pour donne vie à ses visions futuristes. Grand fan du manga et de l’animé original, impossible de nier la filiation entre les œuvres.
Le film impressionne dès les premières minutes grâce à un boulot monstre de la direction artistique et du directeur photo. Les lieux sont vastes, conceptualisés d’une main de maître, dans la droite lignée du chef d’œuvre de Mamoru Oshii. L’ouverture nous en met plein les yeux avec ces magnifiques geishas robotiques empruntées au second opus, cette réunion politique à la tension sourde avant qu’une fusillade explose, enchaînant pyrotechnique surpuissante et ralentis léchés. Le paysage urbain renvoie quant à lui à Blade Runner et ses immeubles recouverts de publicités animées, tandis que les ruelles labyrinthiques fourmillent de vie, de badauds et de boutiques aguichantes sous les néons luminescents. L’univers est restitué avec déférence, Sanders allant même jusqu’à répliquer les séquences iconiques de l’original : la course poursuite au milieu des cages à lapins et son combat final dans une gigantesque marre, ou encore la célèbre tombée du gratte-ciel du Major Motoko Kusanagi. Converti en 3D à sa sortie car encore vendeuse, le procédé, sans atteindre les sommets d’un Pacific Rim ou d’un Avatar, renforce l’immersion en accentuant la profondeur de champ au sein de décors surdimensionnés.
En dépit d’une réussite visuelle et sonore incontestables, le scénario proposé par cette adaptation affiche rapidement de sérieuses limites. Dès son introduction, le spectateur est pris par la main dans un monde apparemment trop abstrait pour le commun des spectateurs. Sorte de «Cyberpunk pour les nuls», chaque procédé, chaque habitude est soulignée par des dialogues sur-explicatifs. Fini l’aridité du film de 95 qui incitait à la réflexion et stimulait l’imaginaire. Chaque zone d’ombre doit être éclairée et le récit perd énormément en complexité. Bien qu’il s’évertue à mêler deux intrigues au sein de la même ligne narrative, la simplicité des enjeux apparaît comme un frein aux possibilités infinies d’un univers en constante mutation. Alors que le Major poursuit un dangereux cybercriminel aux agissements troubles, elle ne cesse de s’interroger sur son passé, son existence reposant sur un esprit greffé dans un corps intégralement bionique. Au-delà d’un script simplifié, qui remplit son office même si il n’est jamais brillant, c’est l’aspect philosophique de l’œuvre originale qui pâtit véritablement d’une écriture américanisée.
Là où Ghost in the Shell proposait un scénario en avance sur son époque en 1995 avec un thriller politique redoutable, enrichit d’interrogations philosophiques sur le devenir de l’association Homme/technologie, son adaptation de 2017 semble avoir vingt ans de retard. A la question prophétique «que suis-je ?», Scarlett Johansson rétorque un «qui suis-je ?» comme antithèse totale de la pensée originale. Bien que perturbée par son nouveau corps, elle est avant tout obnubilée par son passé, par l’avant transplantation. En recherche constante de son passé, d’une course effrénée aux souvenirs, elle en oublie de questionner son nouveau rapport au corps et à la chair factice. Alors que son collègue inspecteur, Batou, lui fait remarquer que ses propres souvenirs le détruisent plus qu’autre chose et qu’il envie sa pureté originelle, le Major incarne la faiblesse majeur d’un script qui ressasse une figure vue et revue du thriller paranoïaque américain, à savoir la quête d’une identité perdue.
Ce changement de paradigme, plus largement, illustre des visions diamétralement opposées vis à vis de la technologie de part et d’autres du Pacifique. Chez Mamoru Oshii, cette dernière n’apparaît jamais vraiment néfaste ou positive, elle est seulement un critère de plus dans l’évolution de l’humanité. Elle se pose comme une étape inévitable avec laquelle il faudra composer à l’avenir. Toute la progression dramatique du film se greffe aux questionnements internes de son personnage, le Major Kusanagi, perpétuellement tiraillée entre sa condition artificielle et la persistance ou non d’un semblant d’humanité. A l’inverse, chez Sanders, le corps du Major n’est qu’une extension artificielle dont le personnage s’accommode rapidement, préférant enquêter sur un passé envahissant, se raccrochant ainsi définitivement à sa part humaine sans jamais embrasser son double synthétique. Il y a comme une régression face au progrès, une mise en garde des possibles dérives technologiques, la conclusion positionnant notre humanité comme fer de lance inaltérable.
Oshii de son côté ne cesse de mettre en scène une évolution inexorable, jusqu’à cette immense arbre généalogique trônant sur un mur dans le hangar lors du climax, comme symbole d’une espèce obligée d’évoluer pour survivre. Une idée sublimée durant les derniers instants du film, lorsque la fusion totale est amorcée entre le Major, corps bionique aux réminiscence d’humanité, et cette nouvelle intelligence artificielle consciente d’elle-même. Des réflexions poussées à leur paroxysme dans le second Ghost in the Shell, peut être plus inégal, mais aux vertiges philosophiques rarement égalés.
Sanders paraît sincère dans sa démarche, mais peu aidé par un scénario beaucoup trop superficiel en regard des nombreux enjeux explorés par l’œuvre originale. Sa patine visuelle remarquable et le jeu incarné de Scarlett Johansson ne permettent pas de faire l’impasse sur un script trop linéaire et une dimension philosophique en contresens total. Ce cru 2017 se positionne alors plutôt comme une porte d’entrée vers un univers cyberpunk et une franchise immensément plus riches. Et c’est peut être déjà pas si mal.