[Critique] – Rêves


Rêves Affiche Film

Réalisateur : Akira Kurosawa

Année de Sortie : 1990

Origine : Japon / États-Unis

Genre : Fantastique à Sketchs

Durée : 1h57

Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 8/10


Dream On, Dream On !


Il est de ces êtes sur qui le temps n’a pas d’emprise, pour qui la retraite n’est qu’un vague concept de société abstrait. On pensait qu’Akira Kurosawa avait tout dit avec Ran sorti cinq ans plus tôt. Suite à cette immense fresque désabusée et nihiliste, à la splendeur sans égal, il s’en allait du monde des Hommes pensions-nous. Mais à 80 ans le Tenno a encore des choses à dire. Sa carrière étant derrière lui, n’ayant plus rien à prouver à personne, il peut consacrer son temps et son énergie à des projets beaucoup plus personnels. Il décide ainsi de s’inspirer directement de ses rêves et entreprend le projet de les resituer cinématographiquement dans un film à sketchs composé de dix segments. A nouveau co-produit par George Lucas, Spielberg se greffe cette fois au projet afin de rendre à son tour hommage à l’un des maîtres qui l’ont inspiré. Le métrage final, pour des contraintes techniques, sera ramené à huit segments.

Peintre reconnu (il a peint le story-board de Ran pendant dix ans), épaulé par son fidèle directeur de la photo Takao Saito (Dodes’kaden et Kagemusha parlent pour lui), il embrasse sa seconde passion et réalise des compositions qui rivalisent de beauté les unes avec les autres. Il serait vain de dresser ici la liste de chacun des courts-métrages ou des plans qui les composent. Le film nous propose des ambiances uniques, que ce soit la découverte d’un mariage de «renards» à travers les yeux d’un enfant, une tempête de neige aux allures de cauchemar, un monde d’après et ses démons typiquement japonais ou un voyage à travers l’œuvre de Van Gogh incarné par Martin Scorsese. Chaque histoire a son identité propre, chaque centimètre de pellicule est un émerveillement pour les yeux. Le travail sur la couleur, la profondeur de champ et la composition des cadres est d’une minutie folle. A ce titre, la restauration 4K récemment commercialisée par l’éditeur américain Criterion est un véritable travail d’orfèvre. Le résultat final rend enfin justice au travail de recherches et d’expérimentations picturales effectué pour ce film.

Rêves Critique Film Akira Kurosawa

Loin de n’être qu’un brillant formaliste, Kurosawa s’est toujours penché sur les grandes thématiques sociétales qui ont traversé le Japon d’après-guerre. A travers différents genres, du polar au chambara, en passant par le drame et le film historique, il n’a cessé d’étudier les comportements humains. Dorénavant affranchi des codes d’un genre en particulier, il livre ses réflexions sans autre artifice que des tirades à charge contre nos sociétés modernes. Son discours sur le nucléaire, déjà abordé dans Vivre dans la Peur en 1957, est toujours d’actualité, tout comme sa réflexion sur les rapports entre l’homme et la nature entamée sur le sublime Dersou Ouzala.

Chose assez rare cependant, les éléments fantastiques de certains récits donnent l’opportunité à Kurosawa de convoquer des figures du folklore japonais tels que Yuki-onna, yokai des régions enneigées, ou les bakemono. Ces derniers apparaissent dans un Japon post-apocalyptique où l’humanité n’est plus, et ce qu’il en reste n’est bon qu’à s’entre-dévorer. Un désespoir, un fatalisme qui n’a pas disparu depuis le final misanthrope de Ran. Mais le dernier chapitre laisse entrevoir une paix enfin retrouvée pour son auteur, en filmant l'(auto)portrait d’un vieux villageois lors d’une procession funéraire. Un homme qui vit loin des villes et de la technologie, qui glorifie la nature, ses bien faits et rappelle humblement la place que nous occupons auprès de celle-ci. Un discours peut être un brin binaire mais qui sonne comme une existence accomplie pour Kurosawa.

N’échappant pas à la règle, le dispositif du film à sketchs affiche certaines limites en terme de rythme et d’équilibre. Le segment Le Tunnel brise un peu la dynamique du film, ce qui est d’autant plus regrettable au vu du potentiel filmique du synopsis : Un capitaine de l’armée japonaise, rescapé de la guerre, emprunte un tunnel pour rentrer chez lui. À la sortie, il voit surgir les fantômes des soldats de son régiment, venus lui demander des comptes. La symbolique de l’entre-deux mondes, de l’au-delà, des esprits japonais en colère, tout était là pour en faire l’un des sommets de cette anthologie. Malheureusement trop bavard et répétitif, il ralentit quelque peu l’élan du métrage après trois premiers segments de haut niveau. Seul grain de sable d’une mécanique parfaitement huilée, il n’entache en rien le plaisir de visionnage. La suite est à nouveau très inspirée jusqu’au final tout en contemplation et poésie. Après avoir affronté les affres de l’âme humaine, il est temps pour Kurosawa, au crépuscule de sa vie, de finir sur le plus doux des rêves.

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