[Critique] – Sorgoï Prakov – My European Dream


Sorgoi Prakov - My European Dream Affiche Film

Réalisateur : Rafaël Cherkaski

Année de Sortie : 2013

Origine : France

Genre : Descente aux Enfers

Durée : 1h35

Le Roy du Bis : 8/10
Thibaud Savignol : 7/10


Les Vacances de la Mort


Paris, la ville lumière, aussi surnommée la plus belle ville du monde ou la capitale de la mode, de la création, de l’art de vivre et de la gastronomie. C’est la première étape d’un tour d’Europe en forme de cœur qu’un journaliste sdorvien (un pays fictif à l’est de l’Est) va entreprendre dans le cadre d’un documentaire promotionnel. Mais le carnet de voyage censé promouvoir le cadre idyllique va rapidement prendre des atours de calvaire parisien, reflétant les dérives d’une cité désenchantée : celles des tentes de SDF campées le long des quais en bordure de la Seine, celles de la criminalité et de l’individualisme, où les bonnes cloches de touristes comme lui se font manger tout cru par les délinquants de nos banlieues. Du rêve au cauchemar, il n’y a qu’un pas, que le narrateur va allègrement franchir en basculant dans l’anonymat et la folie.

Mais avant cela, Sorgoi Prakov nous aura quand même pas mal induit en erreur lors de sa première partie, qui a tout d’une comédie pince sans rire, moins transgressive que les leçons culturelles et pitreries de son voisin kazakh Borat, certes. On se laisse facilement attendrir par la naïveté et la personnalité atypique du bonhomme, surtout lorsqu’il lui arrivera ses premières déconvenues. Mais quand les premiers signes de nervosité et de névroses du personnage vont apparaître, on va commencer à se poser quelques questions, surtout lorsque les producteurs vont l’abandonner à son sort, supprimant les financements de son ambitieux projet. Très vite, la comédie dégénère en drame et dérape en virée underground au cœur de Paris. Car l’auteur va s’abandonner aux excès des soirées étudiantes, entre drogue et alcool, pour finir sans un rond et sans-abri aux côtés d’un clochard, dont il brûlera la dépouille une fois que ce dernier aura rendu son dernier soupir.

Sorgoi Prakov - My European Dream Critique Film Found footage

Perdu dans cette jungle urbaine, dans l’indifférence généralisée, et puisqu’il parle très peu français, l’homme va rapidement se muer en vagabond sociopathe, avant de commettre une série de délits et d’incivilités nourries par sa rancœur et sa perversité. Si les français ne peuvent pas comprendre l’anglais et encore moins sa langue natale, ils vont apprendre le langage universel de la violence, que l’auteur va marteler à coups de pierre dans la tête d’un couple de campeurs forestiers. Tant et si bien que toute empathie naissante se voit annihiler au profit d’une horreur malsaine et complaisante, puisque Sorgoï Prakov ne s’impose plus aucune limite face à sa rapide déliquescence. Le montage de son Found-footage se fera de plus en plus expérimental et chaotique à mesure de son enfoncement dans la folie, de ses meurtres, viols et sévices infligés à ses victimes, poussant le vice jusqu’au cannibalisme et à la nécrophilie.

Le sujet est radical, le contenu pas moins dérangeant, allant jusqu’à sonder les tréfonds de l’âme humaine d’un tueur en liberté, à travers une représentation très réaliste de notre beau pays qu’est la France. Le film de Rafaël Cherkaski avait peu de chance de trouver des voies de financement traditionnelles au sein du paysage cinématographique hexagonal, enraciné depuis trop longtemps déjà dans la comédie familiale, le biopic ou bien le polar déprimant. Le fait est, qu’une telle proposition de cinéma ne pouvait que dérouter, fasciner, mais surtout diviser les spectateurs, et que les plus sensibles d’entre eux ne pouvaient que le rejeter totalement en l’incriminant comme Irréversible en son temps. Et pourtant, Sorgoï Prakov My European Dream n’est ni plus ni moins que l’une des meilleures propositions de Found footage sorties à ce jour, quand d’autres se vautraient dans des jump-scares exécrables de fantômes au rabais et d’esprit vengeurs (Graves Encounters, The Gallows) ou tentaient d’aborder des sentiers boisés maintes fois rebattus sans saveur ni originalité (Blair Witch d’Adam Wingard).

D’autant que l’œuvre ne trahit jamais la diégèse ou bien la cohérence de son propos, sans jamais se soumettre non plus à des concessions de diffusion populaire, le reléguant d’office au bagne des films undergrounds. C’est le tarif quand on se permet d’outrepasser la bienséance et d’enfoncer les dernières barrières interdites et taboues de notre société. À une autre époque, on se serait échangé le DVD sous le manteau, désormais, on le diffuse sur les réseaux sociaux. Quand la sacro-sainte pensée unique et l’intolérance nous imposent leurs croyances, les artistes frustrés prennent le relais et opèrent des transgressions visant à retourner les valeurs de l’opposition.

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