
Réalisateur : Eugene Kotlyarenko
Année de Sortie : 2020
Origine : États-Unis
Genre : Virée Meurtrière
Durée : 1h33
Le Roy du Bis : 6/10
Thibaud Savignol : 6/10
Notorious Kid
La nouvelle popularité des influenceurs de pacotille ne nous aura pas amené que du bon, c’est certain. Mais cette effervescence pour le monde du streaming aura ouvert une nouvelle brèche dans laquelle s’est glissée le Found Footage pour renaître sous une nouvelle forme plus contemporaine. Avec Spree, Eugene Kotlyarenko livre une représentation satirique des dérives mortelles que ce nouveau média peut engendrer dans son sillage médiatique.
Si l’on parle souvent de ceux qui réussissent, on ne parle jamais des petits qui passent leur temps à végéter dans les méandres de l’amateurisme faute de talent, de bonnes idées, ou bien simplement de réussite… La nouvelle lubie des personnes égocentriques consiste à se filmer dans leur quotidien pour montrer à quel point leur vie est si géniale et épanouie. Certains en profitent pour faire découvrir leur profession, aussi marginale soit-elle. Ainsi a-t-on vu un ripeur danser sur des hits pour amuser la galerie sur Tik-Tok et se faire plus d’argent avec cet outil qu’en collectant les déchets, quand d’autres n’ont le droit qu’aux rats qui leur sautent au visage pour échapper au compacteur, au froid, à l’humidité et aux odeurs insupportables.
Spree c’est le nom d’une application concurrente d’ Uber, permettant aux utilisateurs de commander un taxi et de partager les frais en faisant du covoiturage. Evidemment, il s’agit d’une activité précaire soumise à une compétition féroce. Pour se démarquer de la concurrence, Kurt va devoir remédier à son anonymat qui dure depuis trop longtemps déjà. Pour replacer son émission « Kurtzworld » sur la carte du Youtube Game, le vidéaste va alors se lancer dans une campagne meurtrière envers ses passagers pour générer un énorme buzz médiatique avec le hashtag #TheLesson. Mais les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Le médium se fait ainsi le reflet du narcissisme de son conducteur ne vivant que le prisme des réseaux sociaux. Le sujet fait d’ailleurs écho à certains faits divers marquants ayant émaillés l’actualité (l’affaire Luka Rocco Magnotta notamment) dans cette quête de notoriété.

Dans son film, Eugene Kotlyarenko brise le quatrième mur et exalte son public en lui livrant tout frais menu un véritable microcosme de personnalités superficielles et exécrables destiné à un jeu massacre jubilatoire frisant l’absurde. Cette galerie de victimes (un républicain raciste et acariâtre, une pétasse carriériste et hautaine, un beauf misogyne BCBG, des épouvantails transgenres aux visages botoxés, une influe voleuse strip-teaseuse, ainsi qu’une artiste misandre et hypocrite) constitue le vivier idéal d’une Amérique 3.0 déconnecté de la réalité, dans laquelle Kurt cherche à faire le ménage avec une féroce misanthropie. Séquestration, viol, meurtres sadiques… rien ne sera épargné au public acquis à la cause de ce forcené.
Les choix de mise en scène et différents supports de communications servent ainsi le propos d’un long-métrage particulièrement immersif et gouailleur retranscrivant l’émulsion du streaming sans virer au gerbotron. Les followers peuvent interagir directement avec le vidéaste et guider ses moindres faits et gestes.Les nombreuses notifications et commentaires apparaissant à l’écran font donc moins office d’artifices visuels que de catalyseurs émotionnels aux réactions contrastées de son conducteur pris dans la tourmente expéditive de ses exactions. Le public agit donc en sa qualité de témoin et complice, prenant un malsain plaisir à suivre l’évolution de cette mécanique de prédation.
Mais dans sa course à l’audience, Spree dérape aussi maladroitement que son principal interprète dans la folie en raison d’une caractérisation aussi artificielle que son fil d’actualité (absence d’une figure paternelle, manque affectif à combler, haine anti-système, immaturité émotionnelle). Si les séquences enregistrées depuis les caméras de sécurité tendent à trahir la diégèse induite par le dispositif, les plans filmés dans l’habitacle affichent néanmoins les limites d’un programme un brin réac’ animé par les caprices d’une génération en quête de repère et d’identité.



