Réalisateur : Lucio Fulci
Année de Sortie : 1991
Origine : Italie
Genre : Horreur Funeste
Durée : 1h27
Thibaud Savignol : 6/10
Le Silence près du Cimetière
Le grand Fulci n’est plus. Alors qu’il devait relancer sa carrière grâce au Masque de Cire, produit par son grand rival de toujours Dario Argento, des complications liées à son diabète l’emporte en 1996. Il laissera un vide jamais comblé depuis pour le cinéma de genre transalpin. Homme d’une autre époque, d’un autre temps, sa façon de faire du cinéma était unique. Avec une filmographie avoisinant les cinquante films, il laisse un héritage où se côtoient la comédie, le film d’horreur, le western ou encore le film d’aventures. Considéré comme un terroriste du 7e art, il parvenait toujours à pervertir le genre qu’il mettait en scène, par une violence graphique, frontale et souvent provocatrice.
Son dernier méfait, à défaut de signer un retour en grande pompe sur le devant de la scène, fut le clou final d’un cercueil prêt à l’accueillir. Loin de sa gloire, de sa célèbre trilogie de la mort qu’il accomplit au tournant des années 80 avec La Maison près du cimetière, Frayeurs et L’Au-delà, son cinéma ne faisait plus recette. Ayant enchaîné les bides et confronté à un public désormais indifférent, il naviguait entre téléfilms et long-métrages fauchés, indignes de son talent. C’est avec une certaine curiosité qu’on découvre aujourd’hui Le Porte del silenzio (Les Portes du silence). Sorti seulement en VHS de l’autre côté des Alpes car mal distribué et sûrement trop abstrait, le dvd anglophone permet aujourd’hui de découvrir la dernière pièce du puzzle.
Melvin Devereux se rend sur la tombe de son père comme il en a régulièrement l’habitude. Mais cette fois-ci, tout ne se passera pas comme prévu. Chahuté par un cortège funéraire et alpagué par une étrangère bien entreprenante, le voilà lancé sur les routes de la Nouvelle Orléans. Bientôt esseulé, il se lance à la poursuite d’un corbillard qui n’a de cesse de le provoquer. Bref résumé pour un voyage aux confins de la mort et de la folie. Dix ans plus tard Fulci retrouve la Louisiane, terre de légendes propice à L’Au-Delà, poème ésotérique et macabre, sans doute son plus grand film. Pour Le porte del silenzio il adapte sa propre nouvelle, Porte Del Nulla, et continue d’explorer des thématiques qui parcourent son cinéma horrifique. Il est à nouveau question de porte vers l’ailleurs, de la traversée des mondes, d’enchevêtrer celui des morts à celui des vivants.
A ce titre, le générique prolonge une idée amorcée dans L’Au-delà. Une séquence y confrontait l’héroïne principale à une femme apparaissant subitement au milieu d’un immense pont désert, accompagnée d’un berger allemand. Elle venait de l’autre côté, franchissait la barrière séparant les mondes et pénétrait ainsi dans le notre. A nouveau tourné en Louisiane sur la chaussée du lac Pontchartrain, cinquième pont le plus long du monde avec ses 38kms, il voit son personnage principal le traverser de part et d’autre dans son automobile. On fait cette fois-ci le trajet inverse, Melvin Devereux franchit à son tour le Styx et se retrouve sur la Terre des morts. Très croyant, de son propre aveu, Fulci n’a cessé d’exorciser sa peur de la mort et de l’enfer à travers ses films. L’homme effrayé et en colère a laissé la place à un homme plus apaisé face à l’inéluctabilité du trépas. Fini les débordements gores, les hordes de zombies déchirant le Terre ou les envolées quasi-mystiques, place à une ambiance douce-amère à la lisère du surnaturelle.
Le film se construit ainsi comme une course poursuite incessante, où le temps est suspendu. Melvin enchaîne les rencontres incongrues, interprète chaque signe comme une oracle funeste et se perd dans les dédales d’une Louisiane plus solaire que jamais. On évitera les formules pompeuses pour évoquer Porte del Silenzio comme une œuvre testamentaire ou la synthèse de sons style. C’est avant tout le prolongement d’une filmographie hantée par la mort, dont le virage horrifique des années 80 a sûrement influencé le réalisateur transalpin plus qu’il ne voulait l’admettre. On reconnaît ici la patte inimitable du maître qui traverse chacune de ses œuvres. Ce goût pour le macabre et la mort, toujours saupoudré d’un lyrisme si particulier, magnifiant le laid et le grotesque. Nappé de sonorités jazz chères à son auteur, doté d’un rythme à la lenteur hypnotisant, le film ne fait que rejouer en boucle les mêmes séquences, cultivant son mystère pendant 90 minutes. Le Porte de Silenzio est un film d’écorché vif, dévoilant la psyché de son auteur comme jamais, où la mort n’est plus cette inconnue terrifiante, mais tout simplement la fin du chemin. Le destin ne pouvait pas mieux choisir pour conclure une filmographie si dense et hétéroclite, sans cesse hantée par le spectre de l’Au-Delà. Ciao Maestro.