Réalisateur : Galder Gaztelu-Urrutia
Année de Sortie : 2024
Origine : Espagne
Genre : Fable Utopique
Durée : 1h33
Le Roy du Bis : 7/10
Sortie sur Netflix : 4 octobre 2024
La Fosse aux Cons
Véritable hit du catalogue Netflix, La Plateforme nous revient pour un nouveau festin orgiaque de tripailles sur fond de révolution sociale. Sorti en pleine période du confinement, le premier volet égratignait sans vergogne l’individualisme de notre société avec sa lutte des classes en fer de lance. La métaphore, bien que peu subtile, nous offrait néanmoins la chance d’admirer un système pyramidal, injuste et impitoyable, où ceux du haut crachaient à la gueule des plus défavorisés. L’œuvre de l’espagnol Galder Gaztelu Urrutia s’imposait également comme la meilleure variation que nous avait offert le genre étriqué du film de claustration depuis Cube de Vincenzo Natali.
Quatre ans plus tard, le cadre n’a pas changé, et les choses ont peu évolué au cœur de cette gigantesque tour de Babel. L’ascenseur charrie chaque jour son plateau de mets et victuailles que les cobayes doivent manger dans le délai qui leur est accordé. Évidemment, la corne d’abondance n’est pas inépuisable et les premiers servis sont toujours les plus rassasiés, tandis que les derniers n’ont plus que du verre pilé à se tailler sur les veines. Le réalisateur applique donc la bonne vieille recette du bigger and louder en restant fidèle à son concept, à une exception près, celle de cuisiner de nouvelles règles pour retourner la table et montrer les limites d’une utopie basée sur le fanatisme et la responsabilisation.
Deux visions s’opposent dans La Plateforme 2. Celle de la liberté individuelle contre la voie du bien commun. Ces deux croyances sont traversées par un monolithe qui descend à intervalles réguliers et ne remonte qu’une fois la tournée terminée. Pour prévenir tout abus, des extrémistes ont néanmoins pris position afin de prendre le contrôle des opérations. Car la liberté de choisir quoi manger s’arrête dès que celle-ci nuit aux denrées des autres. Dès lors, il convient de ne manger que le plat qui nous a été préalablement destiné et tant pis pour ceux qui auraient choisi des escargots. Bien sûr comme toute règle, celle-ci comporte des exceptions, et il est tout à fait admis de faire un échange réciproque et équitable. En revanche, les plats des loyalistes tombés au champ d’horreur doivent être jetés au rebut pour garder les pêcheurs de toute tentation et prévenir les sources de conflits.
Mais faire appliquer la loi dans les niveaux supérieurs qui ne manquent jamais de rien est toujours plus facile que de l’imposer à ceux inférieurs, où les goules sauvages s’entre-dévorent pour des miettes et quignons de pain. Cela demande du temps et des sacrifices que tout le monde n’est pas prêt à accomplir. Et il suffit de quelques pommes pourries pour gâter le panier. Dès lors à chaque relève le cycle de violence recommence, et seul un régime de terreur peut prévenir la catastrophe de se reproduire perpétuellement. Mais la violence précède la chute, et des têtes vont tomber.
La Plateforme 2 pose un problème réellement épineux qui contamine nos sociétés occidentales avec la montée récente des extrêmes, et l’accentuation des inégalités sociales. L’intrigue identique à son modèle place un nouveau couple de cobayes au cœur de cette mécanique de prédation, qui n’hésite pas à broyer les individualités et les bras pour notre plus grand plaisir régressif. La caméra s’attarde à montrer le pourrissement de ces corps affamés et martyrisés, qui finiront pulvérisés contre les parois ou bien ficelés dans un immense agrégat destiné à alimenter la fosse. Le réalisateur exploite pleinement son environnement grâce à une formidable gestion de l’espace, et n’hésite pas à recourir à toute la verticalité de son décor. L’ambiance est toujours aussi oppressante et le climat hautement délétère.
Le cinéaste cherche également à éclairer certaines zones d’ombre du premier volet avec lequel il effectue la presque parfaite filiation. Mais à vouloir tenter d’expliquer le fonctionnement de son microcosme, la fin s’égare lors d’errements métaphysiques et spirituels qui assombrissent davantage le tableau. Si le propos a le mérite de renouveler l’intérêt de cette séquelle, celle-ci se noie néanmoins dans des flots d’hémoglobine et s’égare dans la confusion avec ces règlements de comptes à couteaux tirés qui n’étaient pas toujours nécessaires. Pour espérer s’en sortir et manger à leur faim, la jolie brune revêche accompagnée d’un ogre dévoreur de calzone devront s’entre-aider et porter la révolution sociale du haut vers le bas selon l’ordre de marche de l’ascenseur. Il s’agira de tenter de renverser l’ordre établi, car il apparaît bien vite évident que l’utopie sera de courte durée face à l’animosité de l’homme et son incapacité à partager équitablement les ressources.
Phagocytée par ses propres règles, l’utopie tyrannique se heurte fatalement à ses propres limites, surtout quand le turn over imposé charrie sans arrêt de nouveaux résidents, que les faux prophètes doivent évangéliser ou bien châtier avec sévérité. La plateforme est alors pervertie et détournée de son utilisation première (nourrir et rassembler) pour être utilisée comme un instrument de mort. Une guillotine qui enlève les principaux attributs de ses occupants qui n’ont même plus leurs yeux pour pleurer. Gageons qu’en cas de suite, La Plateforme puisse encore nous offrir de solides arguments à se mettre sous la dent, plus qu’une profusion de viscères et de sang.