Réalisateur : John Woo
Année de Sortie : 2024
Origine : États-Unis
Genre : Remake Douloureux
Durée : 2h06
Thibaud Savignol : 3/10
Sortie en salles : 23 octobre 2024
Les Larmes d’un spectateur
Tandis qu’Une Balle dans la tête (1990) présentait un Simon Yam en gentleman fétiche de la culture française (affiches dans son salon, disques de variété française), Les Associés (1991) permettait déjà à John Woo, féru de la Nouvelle Vague, de déclarer sa flamme à l’Hexagone. En suivant les aventures de trois braqueurs de haut vol, dont le formidable duo Chow Yun-fat/Leslie Cheung, le réalisateur Hong-kongais posait enfin sa caméra au cœur de Paris pour bénéficier de son esthétique romantique, caractéristique intrinsèque de son style. Une volonté affichée dès The Killer en 1989, lui-même remake à peine déguisé du Samouraï de Jean-Pierre Melville, où les sentiments exacerbés côtoyaient les fusillades démentielles. En 2024, en remakant son propre remake serait-on tenté de dire, John Woo rend un hommage définitif à la capitale, usant et abusant des images d’Épinal si chères à son cœur.
Pourtant, ce projet d’une nouvelle adaptation traîne dans les tiroirs des studios américains depuis le début des années 90. Passé de mains en mains, notamment entre celles Walter Hill et Denzel Washington, le film sombre petit à petit dans les limbes de l’oubli. C’est en 2015 que John Woo annonce définitivement son retour et sa présence derrière la caméra. Si Manhunt (2017) avait grandement inquiété les fans et moins fans quant aux capacités de mise en scène du septuagénaire, Silent Night (2023) et son récit sans aucun dialogue laissait de son côté entrevoir quelques beaux restes.
Zee, tueuse à gage réputée et basée à Paris, blesse grièvement une civile lors d’un de ses contrats. Ses supérieurs souhaitent qu’elle finisse le travail, mais prise de remords elle décide de sauver sa victime devenue aveugle et de la protéger. En parallèle, l’inspecteur Sey cherche à résoudre la disparition d’une grosse quantité d’héroïne, où sont impliqués la mafia parisienne et un riche saoudien. Reprenant les grandes lignes de l’original, la seconde intrigue autour d’un trafic de drogue et de règlements de compte entre mafieux apparaît d’emblée inutile, inintéressante et rallonge artificiellement la durée du long-métrage. Le casting n’aide pas à concrétiser des enjeux superflus, entre un Cantona cabotin, un Taghmaoui fadasse et un Omar Sy en dent de scie. On saluera le petit caméo amusant de Tchéky Karyo, en mode production EuropaCorp des années 2000. Et que dire de l’écriture, sur-explicative et à la lourdeur pachydermique avec ses dialogues d’exposition interminables.
L’idée de faire d’un tueur une tueuse peut refléter un lissage contemporain post-Metoo. Et c’est certainement un peu le cas. Pourtant, l’idée d’intégrer le corps féminin au récit était déjà à l’étude dans les années 90, en la personne de Michelle Yeoh pour interpréter la policière. Une tentative au final en demie-teinte, qui tient plus du gadget que de la vraie réflexion scénaristique. Quitte à vouloir féminiser une œuvre sacrément masculine au départ, autant y aller à fond et inverser intégralement le casting, faire de la victime aveugle un homme, et du tandem une bromance en talons hauts. Mais non, il sera seulement question d’une Nathalie Emmanuel qui convainc difficilement en Reine de la Mort (surnom véridique) et de quelques gardes du corps muettes. Il ne faudrait pas être trop progressiste trop vite.
Malgré une facture numérique qui côtoie par instant la laideur d’un téléfilm M6, restent quelques séquences plutôt bien troussées, notamment l’affrontement dans un club typiquement parisien en ouverture. On a évidemment le droit à une envolée de colombes, et ce dès l’introduction, à une course-poursuite sur deux roues (électrique, 2024 oblige), et des ralentis à foison, dont certains assez sublimes. Le réalisateur n’a pas complètement perdu la main, tentant même plusieurs split-screen complexes qui dénotent dans le tout venant actuel. Le final pétardant ne démérite pas, bien que parasité par des mano à mano trop John Wickien nous faisant regretter les célèbres 1 contre 100 du cinéaste. Si elle reste lisible, l’action ne bénéficie pas de la maîtrise légendaire de l’espace et du découpage du maître, pourtant entrevue dans son Silent Night l’année précédente.
Non, le réel problème est avant tout le passage du rouleau compresseur hollywoodien sur une œuvre à la morale floue. Là où l’original laissait entrevoir un désespoir palpable et une amitié tueur/flic flirtant avec l’homoérotisme (comme toutes les relations masculines chez John Woo et son maître avant lui Chang Cheh), le remake supprime toute ambiguïté morale et physique. Le duo Sy/Emmanuel, sans véritable alchimie, est lissé de toute connotation charnelle. De plus, protagonistes et antagonistes sont dorénavant parfaitement identifiés, obéissant aux codes puritains dictés par la grosse machine à fric américaine : les méchants d’un côté, les gentils de l’autre, et surtout aucune zone grise. Sans parler d’un happy-end pathétique, à des années lumières du final homérico-tragique hong-kongais.
Cette cuvée 2024 constitue presque un contresens total à l’œuvre originale. Si le script reprend les éléments clés du récit (une aveugle, une église, une traque, une amitié flic/voyou), ils n’apparaissent que comme les gimmicks d’un réalisateur sur le déclin, dénués de la moindre incarnation. Le contrat censé être le dernier ne se concrétise à l’écran que beaucoup trop tard, là où il constituait l’enjeu principal du film de 1989 , point de départ d’une fuite en avant funeste. Trop occupé à filmer ses sous-intrigues de téléfilm, John Woo évoque à peine la quête rédemptrice d’un personnage renouant peu à peu avec son humanité, préférant une tueuse stylée (l’imper en clin d’œil) mais vraie coquille vide. A l’image de cette église où se recueille l’héroïne et théâtre du climax, désormais désacralisée, qui ne verra pas de Vierge Marie explosée en mille morceaux comme illustration d’un rachat impossible. Tout un symbole.
Terminés l’incandescence, le romantisme lyrique et la démesure orgiaque de The Killer premier du nom ; place à un exercice de style vain et désincarné, hanté par l’esprit d’un John Woo artistiquement (presque) au point mort. Si la conclusion de l’original nous brisait le cœur, cette version 2024 se charge de nous briser tout le reste.