Réalisateur : Herman Yau
Année de Sortie : 1993
Origine : Hong-Kong
Genre : Serial Killer Mythomane
Durée : 1h36
Thibaud Savignol : 7/10
Nous sommes ce que nous mangeons
A l’instar du Docteur Lamb de son compatriote Billy Tang, le film d’Herman Yau s’inspire à son tour d’un fait divers sordide et crapuleux : les meurtres du restaurant Eight Immortals. Huang, déjà responsable d’un meurtre à Hong-Kong dans les années 70, est connu pour le massacre d’une famille entière, les Zheng, lors de la décennie suivante. Après s’être lié d’amitié avec le patriarche à travers leur passion commune pour le jeu et les paris, une dette conséquente non réglée sera le point de bascule vers la folie. Les Zheng tardant à honorer leur paiement, Huang se chargera de mettre un terme définitif à leur existence. Possédant les papiers de propriété du restaurant familial, il tiendra la boutique pendant plusieurs mois, prétextant que les Zheng sont partis sur le continent. Il sera arrêté quelques mois plus tard. Une légende naît alors, racontant que Huang aurait transformé ses victimes en petits pains au porc.
Plutôt que de reconstituer scrupuleusement les faits, le réalisateur Hong-kongais s’amuse à marier la véritable histoire aux rumeurs faisant état d’un cannibalisme involontaire de la part des clients. On retrouve rapidement Huang aux manettes du restaurant en question, après avoir réussi à échapper aux autorité suite à son premier meurtre. Cependant, les suspicions se font de plus en plus insistantes autour de cet individu, qui a remplacé au pied levé les propriétaires, soit-disant suite à leur départ et à la boutique laissée en héritage. En outre, des courriers proviennent régulièrement du continent pour prendre des nouvelles mais restent lettre morte. Un proche demande à la police de se renseigner sur cette absence répétée de réponse. Pendant ce temps, Huang continue sa folie meurtrière.
Qui de mieux qu’Anthony Wong, l’acteur le plus dégénéré de l’ancienne colonie britannique, pour incarner un tel psychopathe en puissance ? Complètement habité par le rôle, chacune de ses apparitions à l’écran crée un malaise indicible. Son crâne rasé et son regard possédé derrière ses culs-de-bouteille contaminent l’écran de son aura malfaisante. Il est l’incarnation du parfait sociopathe, alerte des codes en société (sourire de circonstance, courbettes nécessaires), mais basculant à la moindre occasion dans une violence crasse et sans pitié. Ceux qui ont le malheur d’entraver sa réussite ou sa survie ne feront pas de vieux os, et rejoindront les marmites du restaurant.
En parallèle se dresse une équipe d’inspecteurs gaffeurs et dilettantes, pas pressés de s’intéresser à cet énergumène, préférant contempler les jolies potiches aux bras du commissaire. Typique de l’humour bas du front de Hong-Kong, l’investigation avance aux rythmes de gags too much, où la seule femme de la bande n’a de cesse d’être moquée quant à sa féminité. C’est pourtant elle qui sera à l’origine des découvertes décisives de l’enquête, comme pied de nez à des hommes trop obnubilés par des croupes indécentes et des tenues affriolantes.
Deux régimes se confrontent alors, masquant la véritable menace et toute l’horreur de la situation. Invitant le spectateur à décompresser lors des phases d’enquête, ce n’est que pour mieux nous assommer lors des séquences au restaurant, à l’imprévisibilité certaine. Catégorie 3 oblige, Untold Story met en scène meurtres sauvages et viol barbare. Les nouveaux employés feront les frais d’un patron psychopathe, paranoïaque, qui jubile d’occire son prochain de la manière la plus sadique qui soit, énucléation et perforation à la baguette en prime. Sans oublier le découpage, le hachage et la cuisson de ses victimes, afin de faire tourner le commerce. Il n’y a pas de petites économies.
Au-delà d’une séquence de boucherie finale hallucinante, brisant tabou sur tabou, le long-métrage subvertit également la morale, délaissant progressivement toute trace d’humanité. Si la première partie oscille entre inspecteurs et tueur au cynisme terrifiant, identifiant facilement les notions de bien et de mal, le dernier tiers du film parvient à brouiller tous ces paramètres. Les flics ont recours à des méthodes brutales, tandis que les prisonniers ultra-violents et sadiques s’en donnent à cœur joie sur Huang derrière les barreaux, comme si toute la colère suscitée par ce personnage auprès du spectateur était enfin extériorisée à l’écran. Yau réussit même à transformer son bourreau en victime, par un geste provocateur qui légitime la réputation sulfureuse de l’œuvre, interrogeant le public sur son besoin cathartique d’assister à l’exécution d’une justice punitive. Un châtiment qu’il est sûrement loin d’avoir volé, mais à partir de ce moment là les barrières s’effondrent, nous laissant démunis face à la cruauté humaine, sans retenue, dans ce qu’elle a de plus frontal. Rien ni personne à sauver dans ce maelstrom de méchanceté et de violence.