Réalisateurs : Andrew Lau et Alan Mak
Année de Sortie : 2003
Origine : Hong-Kong
Genre : Thriller / Policier
Durée : 2h
Thibaud Savignol : 7/10
Les Infiltrés
Énorme succès au box-office local à sa sortie, ce n’est pas une suite mais des suites qui sont immédiatement mises en chantier. Infernal Affairs se suffisait pourtant à lui-même, tant dans sa propre diégèse que pour le spectateur. Difficile de succéder à une œuvre aussi efficace, aux multiples rebondissements et dont la conclusion acte un point de non-retour définitif. Là où le troisième opus cherchera à combler les vides de la time-line du premier film, les deux scénaristes décident pour ce second volet de situer leur intrigue dix ans plus tôt. Malins, cela leur permet de faire revenir une grande partie du casting original (sans spoiler, plusieurs personnages ne survivent pas au premier film), mais également de combler l’indisponibilité de leurs deux supers-stars Tony Leung et Andy Lau. Compliqué de savoir si ces derniers ont refusé ce second opus, étaient véritablement indisponibles ou on été écartés volontairement pour cette nouvelle histoire.
L’évaporation de l’effet de surprise constitue une première limite assez évidente. Se déroulant en 1991, et centré sur les mêmes protagonistes plus jeunes, impossible pour le récit d’engendrer des retournements de situations aussi impactants. Cette suite en forme de préquelle, consciente de la nécessité de renouveler ses propres enjeux, y parvient de manière plutôt brillante. Avec ses 2h au compteur, le polar sec et nerveux se mue en fresque mafieuse. La saga du Parrain se dresse comme modèle manifeste, et notamment son second opus porté aux nues, où le passé de Marlon Brando était revisité sous les traits de De Niro. Parfois bancal de par une structure beaucoup plus digressive et chorale, Infernal Affairs II parvient pourtant à développer ses personnages, à leur donner cette humanité et cette profondeur parfois absentes du métrage originel.
Ainsi, dès la séquence d’introduction, les liens entre l’inspecteur Wong et le petit chef de gang Sam sont dévoilés au grand jour. Intimes, partageant un repas, leur relation apparaît désormais comme plus amicale. Tout en se rendant mutuellement service (l’un obtient des informations, le second conserve sa position au sein des triades), quelque chose d’autre se développe. Presque plus que ses deux taupes iconiques, Infernal Affairs II choisit de placer au centre du récit cette dualité flic/voyou jusqu’à son inévitable chute. Wong apparaît ici comme beaucoup plus borderline, usant de méthodes à la limite de la légalité, tandis que Sam, peu ambitieux et plus bienveillant que son moi du futur devient le fil conducteur du récit. Les infiltrés tout juste en place, la grande famille Ngai perd son patriarche. L’héritier Wing (Francis Ng impeccable), prend la relève et décide d’annihiler les chefs de triades à la loyauté douteuse afin de régner sur Hong-Kong sans partage. Sam, loyal, participe à cette prise de pouvoir, tout en cherchant à s’allier aux thaïlandais afin de sécuriser ses arrières et développer ses affaires.
Tandis que les taupes prennent leurs marques, s’infiltrent petit à petit au sein des entités visées, et que Wong traque sans relâche ce nouveau chef de famille impitoyable, toutes ces intrigues conduisent à Sam. Bras droit loyal de Wing, chef d’une taupe mais également boss mafieux du flic infiltré et complice du commissaire Wong, il se situe au carrefour des trajectoires de chaque personnage. Le cœur du film est d’illustrer la progression lente et semée d’embûches, comment la route de chacun à bifurqué à un moment donné pour rejoindre leur fonction du premier opus ; que ce soit un commissaire, un chef de gang réputé, son bras droit ou un inspecteur de police ultra-zélé. Sam est donc le pivot central d’un second opus dédié aux évolutions «professionnelles» de ses protagonistes, mais surtout à leurs états d’âmes et tourments intérieurs. Comme l’indique en ouverture le générique final : «L’enfer contient trois éléments : temps, espace, souffrance. Tous infinis. Les pécheurs seront condamnés à la souffrance perpétuelle.». Référence au premier film et à ses soûtras bouddhistes, l’origine de leur pêché vient de naître. Désormais pris au piège d’une boucle infernale, ils n’auront de cesse de courir après des chimères illusoires, incapables de fuir un destin mortifère.
La perte et la douleur comme moteur de personnalités détruites et remodelées à la merci des événements. Sans doute la plus belle idée de ce long-métrage, qui en privant chacun de ses protagonistes de sa moitié, ou tout du moins du plus précieux à leurs yeux, amène une cohérence limpide aux intrigues futures. Froids et implacables dix ans plus tard, bien que traversés par quelques doutes, les deux infiltrés sont ici otages de leurs sentiments, bouillonnants et imprévisibles. Le plan final, à la symbolique émotionnelle sacrément puissante, parachève cette idée d’enfer continue. Le mafieux infiltré s’apprête à rejouer les mêmes notes d’une symphonie destructrice, encore et encore, prisonnier d’un amour broyé sous ses yeux impuissanst. Quant à Wong et Sam, ils se construisent, testent les limites, installent leur autorité. Mais la perte d’un être cher viendra rabattre les cartes, tant au niveau de leur personnalité qu’au sein de leur relation elle-même. Ils sont un modèle d’écriture inversée, d’imparfaits et presque humains, devant des monstres de contrôle et de pouvoir.
C’est donc là toute la force de ce second opus. Souffrant de quelques longueurs, d’un montage temporel et spatial parfois un tantinet brouillon, la dernière-demie heure vient remettre les pendules à l’heure. Elle cristallise avec intelligence tous les enjeux mis en place dans ce second volet, qui semblaient pourtant déjà résolus dès le début de la projection (on sait que les personnages sont en vie dix ans plus tard). Mais en privilégiant ses protagonistes au détriment d’un suspense inadapté à un tel préquel, Infernal Affairs II réussit son pari. Il parvient à créer un véritable lien émotionnel, explorant la part d’humanité de toutes ses figures. Bénéficiant d’une mise en scène toujours aussi tendue et malgré une volonté initialement discutable, le film parvient à renouveler l’intérêt pour une trilogie à en devenir. Les destins funèbres du premier Infernal Affairs n’obéissent ainsi plus à une pure mécanique scénaristique mais apparaissent comme l’aboutissement d’un chemin de croix où la rédemption ne fut jamais une option.