[Critique] – Traqué


Traqué Affiche Film

Réalisateur : William Friedkin

Année de Sortie : 2003

Origine : États-Unis

Genre : Thriller

Durée : 1h34

Le Roy du Bis : 6/10
Thibaud Savignol : 7/10


Caïn et Abel


Abraham questionne Dieu qui demande de lui sacrifier un fils : « où tu veux qu’il soit tué ? ». et Dieu de lui répondre : « sur la route 61 ». S’ensuit le regard d’un visage camouflé, puis un plan aérien illustrant une zone de guerre. En quelques secondes Friedkin pose les base de son récit et illustre les thématiques à venir. Il poursuit ses interrogations entamées lors de son film précédent, le mésestimé L’Enfer du Devoir. Lors d’un procès militaire suite à un massacre de civils, le réalisateur américain questionnait les règles d’engagement en zone de guerre (le titre orignal est Rules of Engagment), la violence étatique, le sens du devoir mais aussi le rapport à une animalité enfouie, le tout sur fond de manipulation politique.

Deux ans plus tard, l’ouverture de Traqué peut se lire comme une suite directe, nous plongeant immédiatement au cœur d’un champ de bataille, où plutôt un champ d’épuration ethnique mettant en scène un bataillon serbe exterminant la population kosovar. Un commando américain est chargé d’exécuter le chef serbe. Aaron Hallam, campé par un Benicio del Toro plus animal que jamais, exécute la besogne avec une efficacité et une froideur implacables. Friedkin continue en filigrane d’interroger le rapport de l’État à la violence, et sa légitimation. Après avoir étudié une violence encadrée, pensée et régulée, il explore cette fois-ci la face sombre et humaine, animale et ancestrale.

Passé l’ouverture bluffante, on retrouve L.T Bonham sous les traits de Tommy Lee Jones, seconde et dernière collaboration entre les deux hommes. Au cœur des forêts de Colombie Britannique il vient au secours d’un loup coincé dans un piège. Il retrouve les chasseurs, leur passe un savon puis est convié par un agent du FBI à retrouver la trace de son ancien élève Aaron Hallam, coupable d’un double meurtre. Le film ne racontera rien d’autre que cette chasse à l’homme entre les deux faces d’une même pièce. L’un fut le professeur de l’autre. Mais surtout, l’un n’a jamais tué alors que l’autre s’est transformé en machine de guerre à la solde de son gouvernement, assassinant aux quatre coin du monde. Ainsi L.T se retrouve confronté à ses propres contradictions, à sa propre culpabilité, lui qui n’a jamais tué mais enseigne à de jeunes hommes mille et une façon d’occire son prochain. Un personnage et des remords qui ne doivent rien au hasard mais sont le fruit de la rencontre entre William Friedekin et Tom Brown. Ce dernier, dorénavant traqueur professionnel, a formé des recrues des forces spéciales, utilisées ensuite pour servir des intérêts politiques.

Traqué Critique Film William Friedkin

Partant d’abord sur l’idée d’un documentaire, le metteur en scène américain décidera finalement de réaliser une œuvre de fiction, sans oublier de faire de la culpabilité de cet homme le moteur de son récit. Friedkin peut ainsi approfondir la thématique qui parcourt sa filmographie depuis ses débuts, la lutte entre le bien et le mal et surtout la possibilité de succomber à ce dernier. Mais plus que cet archétype classique, il explore toutes les facettes du vice, repousse les limites pour aborder cette zone grise où les deux se chevauchent, bousculant nos convictions. Ses œuvres ont toujours affiché une ambiguïté explicite, assez unique, où ses protagonistes sont confrontées à leurs pulsions de vie et de mort, où leur sens moral est perpétuellement mis à l’épreuve, attiré vers les ténèbres, jouant avec la propre limite du spectateur.

Au-delà d’un fond cohérent au regard de la filmographie de son auteur (revoyez le final de Cruising ou celui To Live and Die in L.A en ce qui concerne l’ambiguïté morale), le film est un modèle d’épure et d’efficacité. Comme tout grand film de poursuite, la psychologie des personnages se construit dans l’action. Avec ses deux protagonistes taiseux, Friedkin façonne une mise en scène sèche et brutale, rappelant par moment le style quasi documentaire de French Connection. En plus d’une caméra qui colle aux basques de ses personnages, nous plongeant au cœur du combat, et d’un montage qui évite le superficiel, il faut surtout souligner le travail sur l’espace. Le long-métrage, qui se veut avant tout sensitif et animal, perverti les codes habituels de ses décors.

La nature est apaisante et hospitalière, les deux personnages y progressent sans difficulté, connaissent le terrain, peuvent se mouvoir à leur guise. Ils ne font qu’un avec elle, en accord avec leur nature profonde, leur racine de chasseur. A l’inverse, les séquences qui les voient évoluer en ville sont agressives, déboussolent leurs sens et l’orientation du spectateur avec. L.T souligne d’ailleurs que pour lui c’est ici la jungle. Friedkin le prend au mot, ajoutant une nouvelle course-poursuite fiévreuse à sa liste, l’une de ses spécialités, point culminant d’une ville bordélique, bruyante et agressive. Le sound-desgin et la musique se chargent d’appuyer le propos à grand renfort d’embouteillages et de sons métalliques, là où les scènes en forêt laissent place à des thèmes tribaux tout en percussions et profondeur.

Après un climax sanglant et furieux, qui derrière son apparente simplicité questionne plus qu’il ne résout, Friedkin conclut par un dernier plan sublime, reflet d’une animalité toujours prête à ressurgir chez l’homme moderne. Pourvu d’un budget confortable de 55 millions de dollars, le film se planta au box-office, rapportant à peine 45 millions de dollars à travers le monde. Second échec financier en deux films, Friedkin ne retrouvera plus jamais le faste de ces productions, cantonné dorénavant aux productions indépendantes. Cela ne l’empêchera en rien de continuer à mettre en scène ses obsessions. Quant à Traqué, il figure aujourd’hui parmi les péloches injustement oubliées du maître. Et Dieu dit à Abraham : «tue moi un fils».

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