Réalisateur : Damien Leone
Année de Sortie : 2022
Origine : États-Unis
Genre : Gore Clownesque
Durée : 2h20
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 7/10
Et pour quelques boyaux de plus
Cette fois-ci c’est certain, Damien Leone a eu la folie des grandeurs pour ce second volet. Bien aidé par une nouvelle campagne de crowdfouding réussie grâce à une communauté de fans dévoués aux clowneries d’Art (250 000 dollars contre 35 000 pour le précédent), il ne recule devant rien, autant dans les débordements graphiques que vis à vis de la structure même du long-métrage. Soyons honnête d’emblée, la durée affichée de 2h20 est absurde. Ça en est même devenu une marque de fabrique, l’opus suivant culminant également à 2h05. Chaque acte scénaristique de Terrifier 2 a cette tendance à rajouter artificiellement quelques séquences, là où le rythme gagnerait à élaguer certaines péripéties. Une sorte de légère répétitivité s’installe par moments, créant une cadence en dent de scie, parfois au détriment des enjeux proposés.
Mais ne boudons pas notre plaisir, Terrifier 2 saura contenter les affamés de chair fraîche et de déversement de tripailles sur le carrelage. Place à une toute nouvelle intrigue centrée autour de Sienna, son frère et sa mère, qui vont subir de plein fouet le retour d’Art le Clown dans leur ville après les événements du premier opus. Sauf qu’au lieu d’enchaîner les victimes inodores et quelconques, le metteur en scène américain s’évertue dorénavant à construire un tant soit peu ses personnages, et à bâtir une véritable mythologie autour de ses archétypes.
Si Art constitue une entité maléfique certaine, dorénavant débarrassée de ses attitudes humaines, Sienna apparaît comme son antagoniste principal, sa boogeywoman à en devenir lors d’un affrontement final qu’on imagine titanesque. Revêtue d’une armure iconique à la moitié du film, telle une Walkyrie des temps modernes, elle n’est plus la Final Girl classique qui s’efforçait de survivre à un combat déséquilibré, mais bien un adversaire à la hauteur de la menace. Leone pioche alors allègrement dans le registre de l’Heroic Fantasy à travers son look (costume ailé, épée, peintures de guerre) et son attitude (une battante protectrice), pour faire de son film une lutte classique entre le Bien et le Mal, tout en rééquilibrant notre rapport au slasher, là où le tueur obtenait souvent les faveurs du public au détriment de ses victimes.
Un univers que Leone a désormais les moyens de retranscrire à l’écran. Le passionnant making of, même si toute structuration est absente, permet de réaliser la plus-value du projet : décors ambitieux (cette fête foraine abandonnée), matériel pro (travelling, grue, steadicam), cascadeurs en feu et effets spéciaux rehaussés. Pourtant, le côté artisanal est toujours là, entre cette maison surpeuplée de techniciens pour quelques séquences, des journées (et nuits) de tournage à rallonge et une camaraderie qui fait plaisir à voir. On verra même le réalisateur piquer une sieste à même le sol entre deux prises. La passion anime toujours autant cette équipe soudée et acharnée.
Terrifier 2 assume pleinement son héritage eighties avec son image granuleuse, ses éclairages souvent colorés, et la volonté de tout filmer sur pied. La musique s’affirme enfin, reprenant les sons synthés popularisés par la saga Stranger Things. Et quoi de mieux que le slasher pour rendre hommage à cette époque ? Sauf que le long-métrage pousse ici le genre dans ses retranchements, via une imagerie gore rarement vue sur grand écran. A l’image de sa durée, le réalisateur étire également jusqu’à plus soif ses nombreuses séquences de mises à mort.
Et on en a clairement pour notre argent : décapitation, cœur arraché, défiguration au fusil à pompe et empalement frontal. Mais il est à parier que la «séquence de la chambre» est bien partie pour marquer des générations de spectateurs. Une amie de Sienna subit les foudres sadiques du clown dans un sommet de cruauté. Si la séquence frappe aussi fort, c’est par la façon qu’à Léone (lui-même responsables des FX) d’enchaîner rapidement les sévices extrêmes, comme une succession en deux minutes chrono de plusieurs finish normalement réservés chacun à une seule victime. Un déferlement de violence, savamment mis en scène, qui laisse des traces.
Le début du film laisse augurer un slasher presque pur et dur dans la lignée du premier. Mais rapidement la scène malaisante du cauchemar du premier acte, qui voit Sienna évoluer au sein du Clown Café, décor mi-Burtonien Mi-Casimir et son île aux enfants, illustre la mue opérer par le cinéaste qui lorgne désormais vers le fantastique. Art s’insinue dans les rêves tel un Freddy Krueger sous acide et apparaît en ville où bon lui semble à la manière du monolithique Michael Myers. Il se voit même agrémenter d’une petite fille clown, sans que l’on sache si il s’agit d’un démon, d’une illusion ou d’une force supérieure qui le commande. Si Terrifier présentait un boogeyman culte à en devenir et une mécanique de mises à mort uniques (de longs meurtres sadiques), Terrifier 2 marque finalement la naissance définitive de la saga, de sa mythologie, avec de véritables règles, enjeux et arcs narratifs.
Bourrin mais pas dénué de réflexion, à l’instar des enfants bouffeurs de films d’horreur du film à sketchs All Hallow’s Eve, Damien Leone interroge encore une fois notre rapport à la violence, et plus particulièrement ici aux tueurs en série. Dans une société américaine souvent endeuillée au 21e siècle par les tueries de masses, notamment en milieu scolaire, le frère de Sienna (Jonathan) apparaît comme malsain avec l’idée de se revêtir du look d’Art le Clown pour célébrer Halloween. La fascination de ce dernier pour un assassin, pour ceux qui apportent la mort avec eux, répond aux admirateurs de Jeffrey Dahmer ou de Charles Manson, starifiant des psychopathes notoires après avoir descendu un litre de soda en mettant frénétiquement les séries que Netflix leur dédie. Et c’est encore une fois grâce à la naissance d’une héroïne quasi mythologique et bad-ass en diable (la sublime Lauren LaVera) que le metteur en scène rééquilibre les débats, créant une véritable opposition de chair et de style aux bouffonneries plébiscitées de son clown préféré.
Derrière ses atours de série B (voire Z par moments) décérébrée, un auteur est en train de se faire la main. Cherchant à maximiser l’impact de ses séquences chocs et à visuellement marquer la rétine du spectateur, il n’en oublie pas pour autant de penser sa mise en scène. En plus de gérer adroitement l’espace de ses lieux clos, il effectue une dichotomie plus fine qu’il n’y paraît entre sa propre mise en scène, lisible à défaut d’être brillante, et celle proposée par Art lors de ses exécutions.
On retiendra la séquence hilarante de la boutique de déguisements où le boogeyman multiplie les grimaces, exagérations et attitudes clownesques, créant un malaise diffus parmi les protagonistes. Le montage se cale dès lors sur une rythmique comique proche du burlesque, en perpétuel décalage, avant un éclat de violence sec et brutal. En permettant au point de vue de son anti-héros d’exister lors de ses faits de gloire, il crée immédiatement une distanciation moralement salvatrice, l’empêchant d’être accusé de complaisance ou de faire le jeu du bourreau. C’est Art qui parasite le film de son machiavélisme, contaminant la mise en scène et nous entraînant dans sa propre subjectivité. Il prend possession du métrage pour jouer et choquer le spectateur dès qu’une opportunité se présente. La dualité de ces mises en scène accentue l’affrontement entre forces du Bien et du Mal, ne laissant aucun doute quant au choix moral de son réalisateur.