[Critique] – Evil Dead


Evil Dead affiche film

Réalisateur : Sam Raimi

Année de Sortie : 1981

Origine : États-Unis

Genre : Cabane Hantée

Durée : 1h25

Le Roy du Bis : 8/10
Thibaud Savignol : 10/10


Panic Fever


Où sont passées nos jeunes années, quand on festoyait dans des squats au milieu de la forêt entre copains ? Moi aussi j’ai connu ça, les soirées dans mon wagon tout équipé, à jouer à Resident Evil, à regarder des films d’horreur une bière à la main, ou bien faire des courts-métrages gores entre copains. Evil Dead c’est avant toute une histoire de franche camaraderie, un premier long entre amis qui aura mis pas moins de deux ans à sortir de terre avant d’envahir les salles de ciné et les vidéoclub du monde entier, nanti d’une réputation de film interdit sur lequel les gens projetaient tous leurs fantasmes les plus enfouis.

On parle d’un viol dans la forêt, d’un crayon planté dans la cheville, de possessions démoniaques et de cadavres en putréfaction, dans une œuvre qui ne respecte ni la bienséance ni même les codes de l’épouvante-horreur alors en vigueur. Le speech est pour le moins des plus classiques : une soirée arrosée entre adolescents dans une cabane isolée, qui finit par dégénérer lorsqu’un membre de la bande libère accidentellement des forces occultes issues du Necronomicon Ex-mortis, aka le Livre des morts. Les malheureux se retrouvent piégés dans la vieille bicoque, sans aide ni secours à leur portée. Cette nuit de terreur pourra bien être leur dernière, tandis que la seule échappatoire à ce cauchemar les conduira à une mort certaine.

Le réalisateur n’en est pas à son coup d’essai lorsqu’il tente de réunir un budget auprès des différents investisseurs locaux (dentistes, industriels, et commerçants) pour faire de Within the Wood un long-métrage horrifique, en compagnie de ses partenaires de galère Rob Tappert et Bruce Campbell. À seulement 20 ans, Sam Raimi a déjà une cinquantaine de courts-métrages à son actif, tournés en Super 8 et notamment influencés par son penchant pour les comics, la magie, et les comédies des Trois Stooges. Peu enclin au genre horrifique, Sam y voit surtout l’opportunité d’expérimenter des effets de mise en scène totalement inédits, en employant sa caméra 16mm comme le ferait aujourd’hui un influenceur débile avec son téléphone portable, l’inventivité et la maîtrise technique en plus.

C’est ainsi qu’il invente plusieurs procédés «révolutionnaires», notamment la Shaky Cam, qui consiste à harnacher l’appareil à une mobylette, un vélo, une simple planche flottante sur l’eau ou bien à bout de bras en se faisant porter par ses assistants, afin d’épouser le point de vue subjectif d’un esprit fonçant à travers les arbres et le décor pour s’attaquer aux survivants. L’immersion est saisissante voir même dérangeante, et confère une atmosphère d’autant plus oppressante à supporter que l’horreur monte de façon crescendo jusqu’à frôler l’hystérie collective. Le sens de l’espace, la virtuosité des plans et des mouvements totalement hallucinants participent également à renforcer la puissance du hors-champ. L’effroi reste tapi dans le noir, se manifeste par le son et les déformations de l’image, avant même de surgir à l’écran par des cas de possessions, qui feraient passer les revenants de George Romero pour des crétins congénitaux. 

Evil Dead Critique Film Sam Raimi

Cette liberté de ton et de création, alimentée par les fortes ambitions de son réalisateur, a néanmoins un prix. Les journées sont longues et le travail harassant, le confort est extrêmement rudimentaire, les actrices se plaignent des contraintes qu’implique ce tournage guérilla pour le moins hasardeux, obligeant les équipes techniques à s’adapter et à faire avec le système D. Les plannings sont serrés voire même chaotiques, puisque Sam Raimi n’a, comme dans son univers, aucune notion rationnelle du temps qui s’écoule. Seul son film lui importe, et il est évident que jamais il ne serait parvenu à un tel résultat dans des conditions normales de production.

C’est bien la précarité et le timing qui vont l’obliger à redoubler d’ingéniosité, impliquant pas mal de reshoots, d’expérimentations, d’épreuves et de souffrances au quotidien. Pas de quoi décourager pour autant un stakhanoviste comme lui, puisqu’il va continuer les prises de vue plusieurs semaines après la fin du tournage, afin de parfaire le long-métrage avec son ami Bruce Campbell, qui incarne d’ailleurs le personnage de Ash Williams et qui deviendra comme chacun le sait le futur héros mythologique de la saga. Pour cette première itération il sera cependant plutôt impuissant face au massacre de ses meilleurs amis, avant d’affronter seuls les créatures d’un film ô combien terrifiant, bien que délirant par moment. 

Malgré sa patine amateur, les effets spéciaux du film participent largement à la réussite du long métrage auprès du grand public, entre les maquillages purulents, la dégueulasserie d’une décomposition confectionnée en stop-motion, les amputations, une décapitation et même un viol orchestré par des branches d’arbres entrelacées, la scène paraissant d’ailleurs si éprouvante que Sam Raimi finira par la regretter. A sa sortie Evil Dead est un phénomène planétaire nanti d’une réputation certes sulfureuse mais néanmoins élogieuse grâce à Stephen King et à la critique presse de l’époque, tels que L’Écran Fantastique ou Mad Movies qui l’érigent en messie. Les autorités du Royaume-Uni le relégueront au rang des vidéos Nasties, ce qui ne fera que décupler sa popularité et renforcer le bouche à oreille auprès des cinéphiles qui veulent mettre la main sur cette cassette maudite.

D’un budget de 350 000 dollars le film en rapportera plus de 30 millions, soit un véritable tour de force pour une œuvre rentrée dans l’histoire du 7ème art ainsi que dans l’imaginaire collectif. La «simplicité» apparente du film finit par convaincre toute une génération d’amateurs passionnés de se lancer dans la course à l’échalote, en vue de reproduire la recette de ce coup de génie hors des circuits de production traditionnels. On pense à des cinéastes pétris de talent tel que Peter Jackson avec son cultissime Bad Taste, ou bien à la nouvelle vague du splatter allemand qui sera persécutée par la censure pour ses excès encore plus gores et sanguinolents. Quant à Ashley, il sera de retour pour un deuxième round en 1987 dans une suite pour le moins démentielle. En tout cas une chose est certaine, c’est que tant que les exécutifs entretiendront la poule aux œufs d’or et qu’ils trouveront des gens assez cons pour rouvrir le Necronomicon, les démons du sinistre Kandar ne manqueront pas d’âmes à tourmenter jusqu’au point du jour !

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