Réalisateur : Brian De Palma
Année de Sortie : 2006
Origine : États-Unis / Canada
Genre : Guerre
Durée : 1h30
Le Roy du Bis : 5/10
Thibaud Savignol : 6/10
Les Cochons de guerre
Redacted constitue la filiation directe, voire se pose en auto-remake, du film Outrages réalisé par De Palma en 1989. Ce dernier s’inspirait de l’incident de la colline 192 ayant eu lieu le 19 novembre 1966, durant la Guerre du Vietnam. Une jeune femme vietnamienne fut enlevée, subit un viol collectif avant d’être assassinée par plusieurs soldats américains. Le réalisateur transposa à l’écran ce fait sordide, s’appuyant sur Sean Penn pour jouer le leader pernicieux et charismatique, tandis Michael J. Fox prêtait ses traits innocents et juvéniles à celui qui osa dénoncer leur crime, au péril de sa vie.
Le film dont il est question ici rejoue exactement le même schéma, s’inspirant encore d’un fait divers crapuleux survenu en 2006 en Irak. Une fillette irakienne est violée avant que ses parents et sa sœur soient assassinés sous ses yeux. L’un des membres du groupe ne supportant pas ces actes décide à nouveau d’alerter sa hiérarchie. De Palma explique qu’il avait besoin de raconter une seconde fois cette histoire, la plus terrible selon lui et la plus représentative des conséquences de conflits abscons menés par l’Amérique à l’autre bout du globe. Pour lui ce sont deux conflits qui se ressemblent énormément, loin de ceux archétypaux de la première moitié du 20e siècle où «gentils et méchants» étaient clairement identifiés par chaque camp. Ici le flou est permanent entre ennemis et civils, entre objectifs à long terme et routine quotidienne ennuyeuse, la superpuissance américaine broyant ce qu’il reste d’enjeux. Une guerre d’occupation s’installe, stérile, se vidant peu à peu de sa justification idéologique.
On envoie ici de jeunes hommes (un facteur invariable à chaque guerre), certains à peine majeurs et d’autres dont le choix se limite à la prison ou à s’engager, à l’autre bout du monde pour combattre une menace quasi irréelle. Après une offensive réussie en quelques semaines, l’occupation et l’attente prennent le relais. S’instaure alors une impossibilité de discerner le réel ennemi, qui se terre, attaque au compte goutte et se dissimule parmi la population civile. Réduits à des taches répétitives et ingrates (ici les contrôles journaliers d’un barrage), les hommes ne parviennent plus à saisir l’utilité de leurs actions, ne savent plus pourquoi ils sont là et sur qui ils peuvent/doivent tirer.
Plus difficile encore qu’au Vietnam où il était assez simple de se procurer femmes, alcool et drogue pour échapper à la triste réalité, ces denrées sont désormais extrêmement difficiles à se procurer pour les troupes postées au Moyen-Orient. Monte ainsi peu à peu une frustration galopante, faisant de ces soldats des bombes prêtes à exploser à tout moment. Il ne leur reste que la camaraderie comme seul refuge, et lorsqu’elle est mise à mal par l’ennemi, le point de non retour est définitivement atteint. Aurions-nous agit si différemment ?
Au départ du projet, c’est la société de production Hdnet qui propose à De Palma en 2006 de réaliser un film tourné exclusivement avec des caméras haute définition pour seulement 5 millions de dollars. Il répond par l’affirmative à condition qu’il trouve le sujet adéquat au format. Un format qui en est encore à ses balbutiements, et qui doit sa démocratisation au Vidocq de Pitof (cocorico) mais surtout au magistral Collatéral de Michael Mann sorti deux ans plus tôt, qui proposait sûrement l’une des plus belles virées nocturnes jamais vues sur grand écran. Bien que De Palma utilisera le numérique avec le même but, à savoir s’affranchir du «filtre» cinéma pour proposer une image toujours plus réaliste, il s’orientera davantage vers une crudité frontale qu’une sur-esthétisation, résultat rendu possible par ce nouvel outil.
On suit ainsi la vie quotidienne d’une section postée à Samarra en Irak (le tournage lui eu lieu à Amman en Jordanie pendant 18 jours). Leurs occupations se limitent aux contrôles journaliers sur un barrage, aux lectures plus ou moins intellectuelles (quand la littérature américaine rencontre Hustler), aux soirées arrosées autour d’un poker, et c’est à peu près tout. Ce néant est filmé par Salazar, en vue d’intégrer la filière cinéma d’une université à son retour, appuyé par des transitions de montage quasi-amateurs en vue d’accentuer le réalisme du dispositif. Il récolte les témoignages de ses pairs, les met en scène, étant au cœur même d’un conflit sous-médiatisé. Tout dérape lorsque leur supérieur saute sur une mine lors d’une patrouille de routine. Alors qu’ils ont déjà abattu une femme enceinte lors d’un contrôle, sans sanction aucune en conséquence, certains se croient désormais tout permis, et réclament vengeance. Salazar, qui se rêve déjà en cinéaste subversif n’hésite pas une seconde à filmer la vendetta programmée.
De Palma met également en scène en parallèle un reportage professionnel, froid et distancier sur fond de Sarabande d’Haendel, filmant le travail consciencieux de ces soldats au barrage et créant ainsi une image officielle et policée. Les virées nocturnes sadiques et sauvages des soldats qui sont filmées au plus près via le caméscope de Salazar s’inscrivent alors en contrepoint, comme pour détourner le point de vue officiel des événements. S’y rajoute des caméras de surveillance, un journal en ligne de femmes de soldats ou encore le montage final à base de «dommages collatéraux», illustré par des photos de victimes de guerre, souvent des enfants. Le réalisateur explique en interview qu’il n’invente rien, mais que tout ce qu’il propose à l’écran est seulement le fruit de ses recherches sur internet, où la véritable histoire de ce conflit est racontée par ces différents médiums. Car contrairement à la Guerre du Vietnam, qui a vu le pays se déchirer entre pro et anti, où les manifestations avaient lieu en nombre et finissaient régulièrement par de violents affrontements avec les forces de l’ordre, il n’en est rien concernant les Guerres du Golfe.
Si le metteur en scène reproche à son pays de ne pas avoir appris des erreurs du conflit en Asie du Sud-Est, les États-Unis ont par contre bien tiré les leçons en terme de communication. Alors que le conflit des années 60 se voyait diffusé quasi non stop sur les écrans de télévisions, dans un torrent interrompu d’images horribles et insoutenables, il en fut tout autre dès 1991. Les images sélectionnées étaient cliniques, propres, montrant seulement l’avancée des opérations, sans les à côtés dérangeants. Même chose en 2003, et malgré les images chocs de la prison d’Abou Graib, le soutien de la population ne faiblira pas, encore trop marquée par les événements du 11 septembre.
Avec Redacted, De Palma n’a pas pour ambition d’afficher une contre-vérité, mais plutôt une multiplicité face à la propagande à sens unique des principales de chaînes de télévision, expliquant le peu de protestation face à l’intervention en Irak au pays de l’Oncle Sam. Il réintroduit la violence de la guerre, le passe-droit que celle-ci offre aux plus belliqueux ainsi que ses effets dévastateurs sur la psyché humaine, s’appuyant sur la forme novatrice du Found footage tout en tordant immédiatement ses codes par la profusion de ses sources. Son film apparaît dès lors comme l’un des rares porte-étendards face à une guerre inutile et mensongère (les armes de destruction massives ne furent jamais trouvées), ce qui lui vaudra d’être vilipendée dans son propre pays et qualifié d’anti-patriote.