
Réalisateur : Stephen Susco
Année de Sortie : 2018
Origine : États-Unis
Genre : Horreur 2.0
Durée : 1h33
Le Roy du Bis : 6/10
Thibaud Savignol : 6/10
Killing in the Name
Alors que l’actualité récente dévoilait les dessous peu reluisants du dark-web (pédocriminalité et plus si affinités…) Unfriended Dark Web proposait une plongée infernale dans cet univers interlope, sujet de légendes urbaines et fantasmes d’un public toujours en quête de sensations fortes.
Le succès d’Unfriended premier du nom aura permis d’ouvrir une fenêtre sur un nouveau sous-genre à part entière (le screenlife) n’ayant pour limite que sa propre interface. La contamination du réseau par un esprit vengeur suivait celle d’un malware frappant tous ses utilisateurs affichant un dernier rictus aussi figé que le cadre. Les sonneries et notifications associées au système d’exploitation servaient de leitmotiv horrifique récurrent tandis que les bulles de conversations permettaient de restituer un semblant de cloisonnement et de claustrophobie. Peu onéreux, ces artifices dérisoires suffisaient à faire frémir d’effroi les petites natures les plus impressionnables à travers l’universalité de son dispositif.
En effaçant le paranormal superflu, Stephen Susco exploite mieux cet outil de mise en scène, afin d’élaborer un thriller haletant sur une entité malveillante s’épanouissant dans la face cachée de l’internet. Le dark web constitue un monde alternatif dont l’accès restreint n’est connu que de ses apôtres et initiés vivotant de recel et trafic illicite (snuff movies, esclaves sexuels, armes, drogue, coordonnées bancaires volées, tout type de contenue sensible). Suite au vol d’un ordinateur portable, Matias va pénétrer au sein de ce réseau et tomber sur des dossiers cachés de nature sensible et compromettante appartenant à une confrérie d’assassins. Son ancien propriétaire va alors tenter de le récupérer coûte que coûte…

Dans son film, Stephen Susco dépeint une mystérieuse organisation aux ramifications très complexes, cherchant à profiter de la misère humaine. Face aux dangers et conséquences liés à une utilisation irraisonnée du réseau, les utilisateurs sont tour à tour victimes d’une vaste conspiration. Cette mécanique implacable et démoniaque prend sa source dans la nature anthropophage du dispositif jetant toutes les informations en pâtures à l’écran dont le public se gorge assidûment. Chaque nouvelle notification et message balaye instantanément la précédente. Le support numérique entre directement en corrélation avec l’intrigue pour aboutir à un jeu du chat et la souris pervers.
Ce partis pris esthétique tend à renforcer l’immersion du public dans un environnement qui lui est familier. Avec cet ancrage dans le réel, le réalisateur peut ainsi distiller une forme d’angoisse technophobe à mesure de cet enfoncement digital. D’ailleurs, l’une des meilleures idées du long-métrage consiste à pénétrer au cœur de cet univers par le biais d’une application cryptée (The River) permettant de remonter un Styx numérique dont les utilisateurs portent le nom de Charon. Cette séquence angoissante offre au public la garantie sine qua non du glissement horrifique opéré par le cinéaste. Le spectateur n’a ainsi plus qu’à se laisser porter par le courant de cette intrigue subversive et envahir par ces nombreuses intrusions IRL.
Plus qu’un miroir déformant, le médium sert de catalyseur aux pires vices de ses utilisateurs. D’une part, l’usurpation d’identité permet à Matias de jouir du statut (réseau sociaux) des richesses (virement de son épargne d’un simple clic) et des pouvoirs du propriétaire de l’ordinateur. Posséder l’information revient donc à posséder la vie d’autrui. D’autre part, le film aborde également la hantise de l’effacement numérique. La perte de ses données et souvenirs emmagasinés dans la machine (photos, audio, vidéos) a l’effet d’une mort sur le plan social. Plus qu’un outil, internet peut donc servir d’arme digitale tout aussi meurtrière que les méthodes brutales et expéditives affichées dans le long-métrage. Ce n’est pas la moindre des qualités d’un film commettant néanmoins l’erreur de ses contemporains. Celle d’occulter les mécanismes les plus inventifs de son dispositif (split-screen, glitch, montage en temps réel) au profit d’une surenchère visuelle, sonore et scénarisée.



