
Réalisateur : Levan Gabriadze
Année de Sortie : 2014
Origine : États-Unis
Genre : Skype Maudit
Durée : 1h22
Le Roy du Bis : 3/10
Thibaud Savignol : 7/10
Pour qui sonne le Skype
Blumhouse productions, toujours à l’affût de la prochaine poule aux œufs d’or, investit 1 million de dollars dans le modeste projet qu’est Unfriended. Jason Blum s’est fait une spécialité des petits budgets horrifiques et est à l’origine des Paranormal Activity, d’Insidious ou encore d’American Nightmare. Il accorde de faibles sommes d’argent, généralement en dessous de 5 millions de dollars (Conjuring en a coûté 20), mais laisse une liberté créative totale à ses équipes, préférant s’accompagner de réalisateurs chevronnés ou ayant déjà fait leurs preuves.
Tristement réel
Les rênes sont ici confiées à Levan Gabriadze, réalisateur russe (Fioritures et Yolki 3) et également acteur dans son pays. Il doit ce poste à son ami Timur Bekmambetov (Night Watch, Abraham Lincoln : Chasseur de vampires), qui lui a déjà percé sur le sol de l’oncle Sam. Le scénario signé Nelson Greaves s’intéresse au harcèlement scolaire et à ses conséquences encore plus dévastatrices depuis quelques années suite à l’omniprésence des réseaux sociaux au quotidien.
L’affaire Amanda Todd, qui secoua le Canada en 2012 et bénéficia d’une couverture médiatique internationale, sert de point de départ au long-métrage. Cette jeune canadienne fut victime d’un pervers informatique, qui suite à une conversation par webcam réussit à obtenir des photos d’elle dénudée. Il les diffusa sur internet, Amanda devint la victime de son lycée, subissant moqueries et brimades. Peu importe qu’elle déménage, il parvenait toujours à diffuser les images compromettantes aux étudiants de ses nouveaux établissements. À bout, elle mit fin à ses jours le 10 octobre 2012 chez elle, à l’âge de 16 ans.

Bien qu’un suspect fut arrêté aux Pays-Bas quant à l’origine du chantage, sa mère, à raison, est persuadé de l’implication de plusieurs personnes. En effet, difficile de mener l’enquête sur les internets, face à ce bloc opaque où chacun se cache derrière un écran. Unfriended reprend ces thématiques et porte un regard acide sur ce nouveau phénomène de bizutage informatique. On suit Blaire et ses amis qui passent leur soirée «ultra-connectée» sur Skype, jusqu’à ce qu’une septième personne s’invite dans la conversation. Elle prétend être Laura Barns. Mais cette dernière s’est suicidée un an auparavant, jour pour jour.
Terreur.com
Véritable exercice de mise en scène, la réalisation s’adapte à son sujet dès les premières minutes. Nous sommes projetés sur une vidéo internet, assistant au suicide d’une étudiante ; image choc et originelle qui n’aura de cesse de hanter le long-métrage. En effet, le long-métrage est intégralement conçu comme un écran d’ordinateur, sans recul. Le spectateur est lié aux décisions de la protagoniste principale, entre visites de sites internet et conversations Skype. De la phase d’exposition au dénouement, impossible de se «déconnecter». Et c’est là le premier tout de force réussi du film : sa retranscription du virtuel.
Plutôt que de tenter une approche abstraite et iconoclaste (Existenz de Cronenberg), il s’évertue à recréer un réalisme froid et imparfait. Les fenêtres ont parfois besoin de quelques secondes pour s’ouvrir, le clic de la souris est hasardeux et des fautes d’orthographes se greffent aux recherches. Un réalisme qui participe à l’immersion du spectateur, notamment pour ceux nés après 1990, qui ont connu le maniement d’une souris et d’un clavier depuis l’enfance, ont participé à l’éclosion des modes de communications en ligne (forums, chats…) et ont expérimenté les réseaux sociaux depuis leur début.
Un tour de force, qui loin d’être gratuit, permet au réalisateur d’en extraire tout le plein potentiel afin de faire naître la peur chez le spectateur. Il se joue des sons, des temps de latence, des fenêtres vides et des messages inquiétants, afin de créer un vrai sentiment d’insécurité. À ce titre, l’alarme Skype n’a jamais était aussi traumatisante, véritable light motif insidieux qui n’a de cesse de jouer sur les nerfs.

Le slasher 2.0
Au-delà des actions à l’écran, le réalisateur s’est également intéressé à ceux qui le composent. Loin de se contenter de créer des victimes faciles, le réalisateur dote chacun de sa propre personnalité. Leur accordant un temps de parole assez conséquent grâce au multi-écran, il parvient également à créer une empathie envers le personnage de Blaire, jeune lycéenne sans histoire au capital sympathie indéniable. C’est à travers son ordinateur et au gré de sa navigation que le récit progresse. On est littéralement dépendant de ses faits et gestes. En plus d’un concept visuel réussi, le film permet désormais une attache humaine.
Les protagonistes amènent un jeu de miroir redoutable, reflets d’une génération connectée en pleine ascension. Derrière cette jeunesse lisse aux premiers abords, se cache une violence morale que le film ne tarde pas à révéler. La liberté créatrice citée en introduction bat son plein dans une seconde partie au rythme enlevé, délivrant alors un règlement de comptes des plus virulents par écrans interposés. Face la menace du septième invité et aux injonctions qu’ils subissent, les personnalités émergent et se révèlent tout autre. Chacun a ses secrets et n’est pas forcément celui qu’il prétend être.
Le réalisateur explicite ainsi une (car ce n’est pas la seule) des réalités concernant les réseaux sociaux. Ils permettent d’être quelqu’un d’autre, de ne pas avoir à se montrer comme on est réellement. Ils agissent comme un «écran». Un «écran» où l’on montre ce que l’on désire uniquement, ce qui nous façonne une seconde personnalité. Trahisons, humour noir et accumulations de cadavres, le film tire à boulets rouges sur cette époque de façade. Réel et virtuel agissent désormais comme deux mondes séparés et incompatibles, qui ne mesurent plus l’impact de l’un dans le cercle de l’autre. C’est grâce au cinéma d’horreur, méprisé mais parfois bien plus révélateur d’un état des choses, que Gabriadze délivre son message, dénonçant de nouvelles dérives toujours plus narcissiques à l’heure de l’ultra-connexion sociale.
Un brin moralisateur, le film met cependant le doigt sur un problème actuel bien réel. Le harcèlement scolaire a pris une autre forme, peut être plus violente et perfide, car presque indécelable et noyée dans la masse d’une vie sur les réseaux. Jusqu’au-boutiste, Unfriended amène du renouveau dans le genre des films-concepts fauchés, exploitant le sien jusqu’au bout, sans se détourner pour autant de son sujet. Réfléchi et techniquement réussi, le film constitue le pendant cinématographique de l’affaire Amanda Todd, adolescente dont la mort virtuelle mit fin à sa vie réelle.