Réalisateur : Steffen Haars et Flip van der Kuil
Année de Sortie : 2024
Origine : Pays-Bas
Genre : Comédie Trash
Durée : 1h30
Thibaud Savignol : 6/10
Sortie en exclusivité sur Shadowz : 31 octobre 2024
La Passion du Christ
Si Halloween a retrouvé un certain regain de forme en cet automne 2024 (plus de maisons décorées et de gamins assoiffés de bonbons dans les rues), il n’en a jamais été autrement pour la plate forme Shadowz. Depuis plusieurs années elle célèbre la fête païenne de la plus belle des façons, proposant un nouveau film tous les jours, façon calendrier de l’avent horrifique. Pour le 31 octobre, l’honneur revient à l’inédit dans nos contrées Krazy House, signé du duo frappé du bocal Flip van der Kuil et Steffen Haars. Les deux réalisateurs hollandais officient dans la comédie trash et barrée depuis une quinzaine d’années, notamment avec des titres comme New Kids Turbo (dérivé de l’émission télé New Kids du même duo) ou bien Bro’s Before Ho’s.
En plein délire nostalgique, Krazy House s’ouvre sous la forme d’une sitcom typique des années 90, décor en carton-pâte et rires du public à l’appui. Le patriarche Bernie Christian (Chrétien littéralement) tente coûte que coûte de maintenir l’unité familiale sous l’influence du Tout Puissant. Mais des ouvriers russes ne vont pas tarder à entreprendre des travaux de rénovation qui vont tout faire voler en éclat, aussi bien la maison elle-même que la sacro-sainte entité familiale. Véritable huit clos (quelques plans extérieur viendront seulement justifier le passé d’un personnage), le long-métrage jouit d’une exposition absurde et satirique, étirant à l’extrême la vacuité des sitcoms nineties traditionnelles, sous forme de bonbon acidulé complètement perché.
Chaque pièce de la maison constitue un décor indépendant, logistique de plateau télévisuel oblige, rattachant chaque protagoniste à son identité et sa personnalité propre : le salon et la chambre décorés par Jésus pour le père, la cuisine pour une femme d’affaires toujours pressée et des chambres d’enfants aux looks marqués, la science pour le plus jeune et les murs tapis de poster pour l’aînée. Le père tentera alors de dévier chacun de ses véritables obsessions, tant pour les pensées impures de sa fille envers les garçons que par la remise à plat de la théorie de l’évolution pour son gamin obsédé de découvertes scientifiques.
Braquée sur le point de vue du père depuis le début (présence scénique prépondérante, initiative des dialogues), la mise en scène se joue des formats d’image pour nous plonger dans une psyché plus torturée qui n’y paraît. Une fois que la présence des ouvriers russes fait basculer la bonne humeur dans un petit jeu de massacre un tantinet sadique, l’image elle même est contaminée. Chaque ratio représente une facette du bon père de famille. Tandis que la sitcom acidulée en 1.33 d’alors représente la vision de son monde idéal, le 1.85 (proche du 16/9 des télés d’aujourd’hui) se veut le reflet plus réaliste des événements, sans filtre, ou la violence des uns (les ouvriers) laisse libre cours aux pulsions des autres (la famille) et à la lâcheté du paternel. Le 2.35 (ou scope) très stylisé, à intervalles réguliers, illustre quand à lui les pulsions meurtrières du père, en total opposition avec ses valeurs de fervent chrétien.
Car oui, Krazy s’amuse d’un bigot incapable de voir sa famille évoluer ou de prendre les devants lorsqu’il se fait maltraiter. Mais au-delà de seulement jouer aux petits insolents, les deux réalisateurs tiennent leur propos jusqu’au bout, s’amusant de l’imagerie chrétienne et de son sens profond (voir un Jésus se désacraliser lui-même est assez hilarant). A l’image de la famille White dans la série South Park, illustrant les pro-Trump en rappelant sans cesse qu’on en veut à leur famille (Les Blancs donc), le nom Christian sert également ici une parabole plus large, au trait volontairement forcé. Pour autant, le duo ne dénigre pas leur personnage et sa vision du monde. Ce dernier aura même le droit à un final salvateur, une rédemption arrachée à la force de sa propre volonté.
Si la logique tourne impeccablement pendant la première moitié, entre irrévérence trash (le fils devient un junkie et l’aînée gagne un polichinelle dans le tiroir hors-mariage), humour frappadingue et un Nick Frost fendard en roue libre, la suite retombe sur des rails un peu plus balisés jusqu’à un final plutôt jouissif. On retiendra les apparitions de Jésus, en homme plus qu’en figure spirituel, qui nous rappelle à quel point dans la vie, il faut avant tout se démerder par ses propres moyens sans espérer quoi que ce soit du divin. Le fusil à pompe fonctionne à plein régime pour quelques saillies gores efficaces, la provoc de sale gosse carbure au mauvais esprit avant de terminer sur une note sacrément amère, où la famille est sauve, mais à quel prix et pour quel résultat !