Réalisateur : Stephen Susco
Année de Sortie : 2018
Origine : États-Unis
Genre : Horreur 3.0
Durée : 1h33
Le Roy du Bis : 6/10
Thibaud Savignol : 6/10
Killing in the Name
On l’a souvent qualifié à tort de novateur pour son intrigue sur un écran d’ordinateur, mais Unfriended n’était pourtant pas le premier à utiliser cet outil, souvent réduit à son plus simple argument utilitaire. Megan is Missing réalisé en 2007 avait déjà employé ce concept dans le cadre d’un faux documentaire qui alternait avec le Found footage. Puis il y a eu un segment de V/H/S et enfin The Den, qui reprenait les thématiques du cyber harcèlement par le biais de ces tchats de discutions en ligne type Coco. Il convient néanmoins de reconnaître que le film de Levan Gabriadze était effectivement le premier à en exploiter le procédé à fond, ou du moins jusqu’à un ultime jump-scare qui finissait par tordre la diégèse induite par son dispositif.
La contamination du réseau par un spectre vengeur, un peu à la manière d’un virus ou d’un malware, n’était pas totalement dénué d’intérêt mais souffrait globalement d’éléments trop superflus et d’artifices communs, d’autant plus que l’idée tenait surtout à sa plus simple portée commerciale. Les sonneries et notifications associées au système d’exploitation devenaient alors un leitmotiv récurrent qui faisait frémir de peur les adolescents les plus impressionnables. D’autant que les fenêtres de conversations permettaient également de restituer un semblant de claustrophobie par leur cloisonnement artificiel. Le succès du film aura en tout cas permis d’ouvrir la voie à un nouveau sous genre, qui n’a de limite que sa propre interface et permet autant de nouvelles manières d’explorer et de communiquer que d’intrigues et d’espaces virtuels à développer. Ce qui ne demande finalement qu’à être mieux exploité par une réflexion un peu plus poussée.
Unfriended Dark Web semble avoir déjà mieux réfléchi son concept et permet de revitaliser un peu le Screen Reality (Screen live ou film interface également) en évinçant l’idée du paranormal pour traiter d’une «entité» plus malveillante encore, qui s’épanouit dans la face cachée d’internet, le fameux Dark Web. Un endroit dont l’accès n’est connu que par les initiés et qui sert souvent de plate-forme pour le trafic d’armes, de drogue et de cartes de crédits volés mais aussi pour les contenus sensibles et offensant type pédopornographie, torture porn et snuff movie. Si ce commerce interlope tient plus du fantasme que de la réalité, puisque ces petites annonces sont surtout susceptibles de vous rediriger vers une arnaque, cela a néanmoins permis de développer une véritable légende urbaine autour de ce réseau alternatif.
Stephen Susco établit donc une intrigue simple en lien étroit et direct avec ce versant sombre d’internet, suite au vol d’un ordinateur comportant un dossier caché. Son véritable propriétaire va vouloir le récupérer à tout prix, de gré ou bien de force. L’une des meilleures idées du long-métrage consistera d’ailleurs à pénétrer cet univers par le biais d’une application, «The River», qui permet de remonter un fleuve numérique où les utilisateurs portent le nom de Charon, soit le passeur du Styx qui amène les âmes vers le monde des morts. Il s’agit autant de susciter un effet angoissant que d’amener une vision prophétique sur ce qui attend les personnages. Ils seront décimés les uns après les autres en temps réel sur l’écran par une organisation tentaculaire, qui possède de nombreux disciples et émissaires à travers le monde.
Au-delà de sa mécanique de prédation, Unfriended Dark Web tient surtout à démontrer que le médium agit souvent en révélateur face aux vices de ses utilisateurs. Posséder l’information revient dès lors à posséder la vie d’autrui et à jouer les maîtres chanteurs ou les démiurges. On peut la manipuler à ses dépends pour se marrer et même refaçonner la «réalité» virtuelle, qui trouvera ensuite une résonance directe dans le monde réel avec les conséquences induites. Des photos et vidéos peuvent par exemple constituer des preuves compromettantes pour détruire une réputation de toutes pièces, et faire passer une personne bien sous tous rapports pour quelqu’un de radicalisé et dangereux. D’une part le film aborde ainsi la peur commune de l’usurpation d’identité, dont le héros se rendra d’abord coupable en se connectant au profil du propriétaire de l’ordinateur, lui permettant de jouir de ses fichiers, de son compte Facebook ou bien de transférer sa fortune en un simple virement, avant qu’il ne devienne à son tour la victime d’un vaste complot qui le désignera comme le bouc émissaire idéal d’une longue série de disparitions.
D’autre part, il y a aussi la hantise de l’effacement numérique, qui signifierait indirectement la mort sociale suite à la perte de ses données et de ses souvenirs emmagasinés dans la machine. Un médium qui finit par nous définir en tant que personne, grâce à nos recherches associées et l’utilisation que nous en faisons, surtout quand celle-ci est perverti par de mauvaises intentions. Si l’effet est parfois un peu gros et que l’intrigue s’avère trop riche en rebondissements, cela permet aussi de montrer qu’une adresse IP ne permet jamais de conserver son anonymat et qu’Internet peut aussi servir d’arme digitale, tout aussi meurtrière que les méthodes brutales et expéditives montrées dans le film. Mais tendre à quelqu’un un guet-apens aura toujours plus d’effet que de le pousser au suicide après s’être emparé de sa propriété intellectuelle et de son argent, surtout pour les clients en quête de sensationnalisme.