
Réalisateur : Katsuhiro Ôtomo
Année de Sortie : 1988
Origine : Japon
Genre : Animation Japonaise
Durée : 2h04
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 9/10
Neo-Tokyo mon amour
Manga dont la publication débuta en 1982, Akira constituait dans les années 80 l’une des bandes-dessinées les plus lues au Japon. Lorsqu’on évoque quelques années plus tard à son auteur, Katsuhiro Ôtomo, une possible adaptation filmique de son œuvre, il est au départ très sceptique. Mais quand il est question de le mettre à la tête du projet avec les pleins pouvoirs, il ne tarde pas à saisir l’opportunité qui s’offre à lui. Une décision qui changera la face du cinéma d’animation japonais, et même international, pour toujours.
Révolution animée
Fort d’un budget d’un milliard de Yen (9 millions de dollars), une somme jamais allouée à un tel projet, il s’entoure d’artisans émérites pour pousser les limites de l’animation dans ses retranchements. Le 16 juillet 1988 la ville de Tokyo est éradiquée de la surface de la Terre. 31 ans plus tard, alors que la Troisième Guerre mondiale s’est achevée, Neo-Tokyo est une mégalopole divisée et malfamée. Ceux d’en haut exercent un pouvoir coercitif sur ceux d’en bas. La colère gronde.
Juxtaposant émeutes de guerre civile et course-poursuite de jeunes motards désœuvrés, Akira installe dès son ouverture un climat propice au chaos et à la violence. Alors que le jeune Tetsuo est enlevé par une unité des forces spéciales pour servir de cobaye à des expérimentations scientifiques, se dressent en parallèle les déambulations de ses camarades au cœur de la mégalopole tentaculaire, entre révolte sous-jacente et affrontements de bandes rivales.
Malgré des chiffres en deçà des espérances à sa sortie au Japon en 1988, le film a au cours des années rapidement gagné son statut de film culte (il ne sort en France qu’en 1991), notamment grâce aux ventes par palettes entières de la VHS. Très estimé dans son propre pays, il fut avant tout une claque pour le reste du monde, de par sa violence, son esthétique révolutionnaire et sa qualité plastique inégalable à l’époque. Il a notamment permis de changer dans nos contrées les mentalités vis à vis de l’animation japonaise, souvent déconsidérée et associée à un public enfantin, à une époque où n’étaient diffusés sur les tubes cathodiques que Candy, Goldorak et Albator.

Tandis qu’une seconde vague d’animés déferle sur la France en cette fin des années 80 avec Ken le Survivant et Dragon Ball en tête, recevant mépris et quolibets de la part de nos distributeurs (les VF légendaires sont là pour témoigner), Akira participe à la légitimation de cette forme d’art. Affichant des thématiques matures (violence, sexe, drogue) couplés à des enjeux plus concrets (pouvoir et politique), il constitue une solide vitrine pour les non-initiés et une référence absolue pour les déjà convertis.
Tout est chaos
Akira est aujourd’hui un symbole de pop culture, notamment à travers la moto rouge iconique de Kaneda et son style vestimentaire (Ready Player One le cite explicitement). Mais au-delà de la citation frontale, le long-métrage est avant tout un puits sans fin d’inspiration pour de nombreuses œuvres SF à venir : Matrix ou Dark City n’auraient peut-être pas vu le jour, ou pas sous cette forme, sans oublier Chronicle en 2012, l’hommage hollywoodien le plus direct.
Si l’œuvre a autant marqué les esprits, c’est avant tout par sa fureur punk iconoclaste. En installant son intrigue au cœur d’une dystopie en proie au chaos, Ôtomo distille un véritable parfum d’apocalypse, dépeignant un monde et une société au bord du gouffre, dévorés par leurs propres démons. Comme tout récit Cyberpunk digne de ce nom, le futur apparaît sombre, chaotique, reflétant une civilisation loin d’afficher son plus beau visage. On y croise aussi bien des motos volantes que des robots de surveillance militaires et des armes lasers létales.
Dans ce marasme ambiant, fait d’émeutes meurtrières, de sectes pro-Apocalypse et de gangs de motards ultra-violents (référence directe au Crazy Thunder Road de Sogo Ishii), surnage une lueur d’espoir en la personne de Kaneda. Dévoué à retrouver son ami Tetsuo, malgré les pulsions destructrices de ce dernier, il apparaît comme l’ultime bastion d’humanité derrière la crasse et la frénésie environnantes. On retrouve ici l’étouffement urbain propre au genre, avec ces mégalopoles urbaines toujours plus imposantes, symboles d’un pouvoir toujours plus écrasant.
Un exercice du pouvoir qui apparaît comme l’un des enjeux centraux d’Akira. L’intrigue illustre une lutte incessante pour celui-ci, que ce soit à travers les gangs, les machinations politiques, les expérimentations scientifiques ou encore le combat intérieur de Tetsuo pour prendre le pouvoir sur ses nouvelles capacités et établir sa véritable personnalité. Tout n’est que défiance, conflit, course à son obtention pour écraser l’autre de sa vision du monde.

Le trait rageur
Si Akira est une œuvre aussi importante dans le microcosme du Cyberpunk, c’est également pour sa capacité à transcender l’avènement de l’individu bionique. Abordé dans Blade Runner à travers ses androïdes fugitifs, la thématique est ici au cœur du récit, Tetsuo se transformant progressivement lors du développement de ses facultés. Sa métamorphose basculera définitivement lors d’un dernier acte tout en furie, où la chair et la machine et ne feront plus qu’un lors de transformations monstrueuses, poussant la mutation humaine à son paroxysme. Se dresse alors la création de nouvelles entités et identités, questionnant la prochaine étape du genre humain, son évolution dans son rapport au corps et à sa chair.
Tous ces éléments fusionnent admirablement grâce à une mise en scène détonante mais néanmoins mûrement réfléchie, Ôtomo souhaitant se rapprocher au plus près du vertige cinématographique, de son suspens et de ses émotions. L’animation apparaît ainsi furibarde, aux couleurs criardes, créant un environnement fait de néons, de bitume et de d’environnements démesurés, participant à ce sentiment de grandiose qui nous étreint.
La cité grouille de vie, d’activités et défile à cent à l’heure comme ses personnages. Le découpage est redoutable d’efficacité, précis et gratifié de mouvements de caméra du plus bel effet. Le travail accompli en terme d’animation fut monumental, avec des dizaines de milliers de dessins fait à la main, tout en expérimentant quelques images de synthèses. Citons par exemple ces centaines de fenêtres d’immeubles qui éclatent en mille morceaux lors des explosions, dessinées une par une. Une minutie qui laisse pantois.
Pour l’époque et aujourd’hui encore, le long-métrage d’Ôtomo constitue une référence visuelle, que la récente restauration 4k ne vient que confirmer. Que ce soit son introduction tout en bruit et en fureur, jouxtant guerre civile sous-jacente et courses illégales sur l’autoroute, ses instants contemplatifs que n’oubliera pas Oshii pour Ghost in the Shell ou sa volonté constante de créer des séquences jamais vues et majestueuses, Akira constitue un sommet de pur cinéma sensoriel, bouillonnant, dépassant son étiquette simpliste de film d’animation. La musique ne fait que décupler l’impact des images qui explosent nos rétines, avec ses nappes de claviers électro-symphoniques, ses cœurs à la puissance galvanisante et son influence du théâtre traditionnel Nô.
Histoire du Japon revisitée
Derrière cette frénésie visuelle et son scénario sans temps mort, se dresse le portait d’un Japon d’après-guerre dont les plaies n’ont pas encore complètement cicatrisées. Dès l’ouverture, où Tokyo est rayée de la carte dans un silence de mort, le traumatisme de l’été 1945 transparaît. Impossible de ne pas faire le parallèle avec Hiroshima et Nagazaki, deux événements qui ont redéfinis à eux seuls la mentalité japonaise post-Seconde Guerre mondiale. 34 ans après Godzilla, le réalisateur nippon s’empare à son tour de la déflagration nucléaire comme moteur de son récit, et exorcisme d’un trauma toujours vivace. De là découle la description de ce Neo-Tokyo, le cinéaste lui-même expliquant que le terme Akira signifie «après-guerre».

Le film rejoue en effet la fin des années sombres du Pays du Soleil Levant. Une période sinistre pour le pays, avec le retour aux pouvoir d’anciens cadres du régime fasciste, des conditions de vie extrêmement difficiles pour beaucoup de japonais au cœur des nombreux bidonvilles que comptait le pays et l’explosion des marchés noirs à la solde des yakuzas. Les années 60 ont ensuite vu un gouvernement se stabiliser, l’économie se redresser et surtout une hausse considérable de nouveaux logements se construire, avec en ligne de mire les Jeux Olympiques de 1964.
Mais ce redressement fut à deux vitesses, laissant une partie de la population nippone sur le bas côté. Le revers de la médaille s’incarna, et de même dans Akira, à travers toutes ces manifestations, notamment étudiantes, revendiquant une lutte des classes et du changement dans une société réputée pour son fonctionnement sclérosé, ou encore avec ces mineurs non politisés qui s’amusent à moto pour éprouver l’ébriété de la vitesse.
Vient s’ajouter chez Ôtomo le spectre de l’article 9 de la constitution japonaise, qui au sortir de la guerre, avait pour ambition de mettre en place un idéal pacifiste. Il y est question d’interdire au pays le droit à disposer de forces armées terrestres, aériennes et navales, pour que plus jamais ne se reproduisent les événements terribles des années 30 qui ont entraîné le pays dans un conflit destructeur.
En pleine Guerre Froide, et alors que les relations internationales se tendent à nouveau avec la Chine suite à son développement galopant, difficile de ne pas voir le personnage de Tetsuo comme l’incarnation d’une partie de la population japonaise qui souhaitait l’abrogation de l’article en question. Né de l’association parfaite entre la science et l’armée, il apparaît comme l’arme ultime, à-même d’imposer la puissance et la protection de Neo-Tokyo, répétant ad vitam æternam le cycle de la destruction. Illustrant un pouvoir trop grand, dont les effets seront dévastateurs pour tous, Akira offrait une piqûre de rappel sur les courses à l’armement stériles, si ce n’est le déclenchement d’une Troisième Guerre mondiale, cette-ci en dehors des carcans de l’animation.