[Critique] – La Grande Bouffe


La Grande Bouffe affiche film

Réalisateur : Marco Ferreri

Année de Sortie : 1973

Origine : France / Italie

Genre : Repas Gastronomique

Durée : 2h10

Le Roy du Bis : 10/10
Thibaud Savignol : 8/10

Sortie en Blu-Ray Collector restauré 4K chez Tamasa Diffusion : 19 novembre 2024


Porcherie


«Le Festival a connu sa journée la plus dégradante et la France sa plus sinistre humiliation.» (François Chalais, d’Europe 1)

Se pencher sur le cas de La Grande Bouffe revient à sonder le trou de balle de la presse et la société puritaine de l’époque, particulièrement agacée par cette farce provocatrice et morbide de Marco Ferreri. Difficile de ne pas y voir une charge particulièrement corrosive et obscène contre le système, le réalisateur sachant très bien où il mettait les pieds lorsqu’il a foulé le tapis rouge du festival de Cannes en 1973. Les insultes, bousculades, agressions et quolibets ne feront que renforcer la blessure d’un public, se sentant particulièrement offensé par cette représentation crapuleuse, où 4 nantis du 16ème arrondissement de Paris s’enferment le temps d’un week-end dans un manoir pour copuler et s’empiffrer comme des ogres, avant de succomber les uns après les autres dans l’opulence orgiaque d’un festin pantagruélique.

En réalité le film s’apparente surtout à une satire de la société de consommation, et de nos jours cela reviendrait tout simplement à mater des vidéos Tik-Tok sans jamais s’arrêter de becqueter entre un KFC, des pots de crèmes glacées et des paquets de barres chocolatées.

Seulement, à sa sortie le film de Ferreri était vécu comme un attentat à la pudeur, un crime contre les élites intellectuelles, qui n’y ont vu qu’une ébauche grotesque se complaisant dans l’excès avec la finesse d’un WC débordant de diarrhée. Pourtant La Grande Bouffe est clairement une œuvre de caricaturiste, qui n’a pas seulement pour but de faire parler de lui à travers les polémiques qu’il engendre dans la presse médiatique. Il évoque aussi par sa vulgarité licencieuse la bande dessinée Gros Dégueulasse d’un certain Jean-Marc Reiser, l’un des fondateurs du magazine culte et satirique Hara-Kiri, qui ne sortira de terre qu’une dizaine d’années plus tard avant d’être portée au cinéma.

Les acteurs de cet outrage, qui portent d’ailleurs tous leur propre prénom dans le film, furent bannis durant quelques temps des meilleurs restaurants de la capitale pour avoir daigné participer à cette comédie potache. Philippe Noiret y interprète un gros bébé cadum souffrant d’un important complexe Œdipien, meneur éloquent pourtant soumis à l’autorité d’une nourrice auquel il tète les seins, avant de préférer ceux d’une institutrice qu’il va demander en mariage avec le même pathos que Raymond Domenech face caméra après l’élimination de l’Équipe de France à l’Euro 2008. On retrouve également un Michel Piccoli pédant et hautain, palabrant des phrases en latin en dégustant son gros boudin, pétant à tue-tête et en tutu, mélangeant le culte du raffinement à celui de la grossièreté, à l’image de ce pull rose dégueulasse qu’il arbore en parfait cochon de lait.

La Grande Bouffe Critique Film Marco Ferreri

Coproduction franco-italienne oblige, notons la présence de deux titis parisiens d’origine latine. Tout d’abord ce bougre de Marcello Mastroianni qui incarne probablement le personnage le plus trituré d’esprit, le plus pervers et macho aussi. Il bande plus pour sa Bugatti que pour les prostituées qu’il a voulu imposer au dîner ou que pour la cuisine généreuse de l’affable Ugo Tognazzi, le chef cuisinier de ce suicide collectif, imitant mieux que quiconque le Marlon Brando du Le Parrain pour divertir les copains entre un civet de lapin et une tarte fourrée à l’anus de cochonne mal lavée.

«Mange, mange, tu ne sais pas qui te mangera.»

Pour soulager la congestion des synapses, les parangons d’âneries et citations ringardes égo-snobinardes, Ferreri a le bon goût de ne pas tergiverser bien longtemps pour réduire cette petite oligarchie à sa plus simple expression. Si cette caste de gens paraît aussi intelligente, cultivée, raffinée, et sujette aux mœurs dites «européennes», le portrait en public préalablement esquissé va très vite se morceler pour mieux révéler leur vanité et leur véritable caractère de gros porcs, creux et inintéressants. L’art dont il chantait les louanges ne sera qu’un vulgaire passe temps superficiel dont ils vont très vite se lasser, comparé aux plaisirs de manger et baiser comme des animaux. Ce besoin associé au désir animal va les faire régresser, perdant au passage la faculté d’apprécier les petites choses simples de la vie par écœurement et satiété mélancolique.

L’argent ne fait pas le bonheur, combler le vide en se remplissant ne fera pas de vous des êtres plus épanouis. Mais l’appétit vient en mangeant, et rien de tel que de soigner le mal par le mal en se gavant de purée pour chier comme un éléphant. Ça passerait peut-être mieux avec un peu de salade, et un zeste de bicarbonate pour se rincer le gosier. À peine remis que les voilà repartis à s’en faire dégueuler des plâtrées de pâtes et de crêpes Suzette arrosées de Grand Marnier. Ça ne s’arrêtera jamais de bouffer parce qu’il ne faudrait surtout pas gâcher. Il vous faudra avoir le cœur et l’estomac bien accrochés pour apprécier La Grande Bouffe à sa juste valeur. Cela vous fera un peu l’effet d’un gros pet tout gras lâché au milieu d’une nuit hivernale après un repas trop copieux.

Cette plaisanterie grasse et crasse, accentuée par les calvaires digestifs et les flatulences organiques, dérape vers la tragédie lorsque Michel Piccoli ira jusqu’à péter si haut et fort en gelant la note sur son piano que son âme finira par quitter son corps, et ses excréments de souiller son pantalon. Les cadavres s’accumulent dans la chambre froide soulignant l’effroi et l’absurdité de cette orgie démesurée. Manger et baiser, voilà les deux seules choses qui importent, se vautrer dans son canapé comme une baleine échouée sur les plages normandes en attendant la mort. C’est peut-être ça finalement le véritable sens de la vie.

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