[Critique] – Silent Night


Silent Night Affiche Film

Réalisateur : John Woo

Année de Sortie : 2023

Origine : États-Unis

Genre : Action

Durée : 1h30

Thibaud Savignol : 6/10


Une Balle dans la nuit


En 2017, le Manhunt de John Woo, produit en Chine, tourné à Tokyo et supposé retour aux sources de son cinéma, nous ôtait tout espoir de retrouver un jour le génie d’autrefois. A l’instar d’Argento avec son Dracula de 2012, le film était visuellement ignoble et proposait une mise en scène indigne du maître. Était-ce vraiment là son chant du cygne ?

Ayant quitté Hollywood par la petite porte en 2003 après un Paycheck pas emballant pour un sou, le voici de retour presque vingt ans plus tard aux manettes d’un nouveau film d’action américain. Mais le genre en question a connu de nombreuses évolutions ces dernières années, notamment via la naissance d’une nouvelle icône : John Wick. Une saga qui se veut elle-même un hommage au cinéma hong-kongais d’antan, légendaire pour ses scènes d’action aux chorégraphies toujours plus folles et stylisées, dont John Woo fut l’un des plus grands artisans. David Leitch, producteur de la série et réalisateur du premier opus aux côtés de Chad Stahelski, a toujours fièrement revendiqué le cinéma de l’ancienne colonie britannique comme référence ultime. Amusant alors de voir le réalisateur chinois s’attaquer à son tour à un projet typé John Wick.

En effet, avec son personnage principal qui décide d’occire l’intégralité d’un gang latino suite à la mort de son fils, le spectre de Keanu Reeves flotte au-dessus du film. Au-delà de la dimension scénaristique, il en est de même concernant l’identité visuelle du long-métrage. Avec ses décors esthétisés (le repaire de l’antagoniste), sa patine numérique colorée et son action débridée, Silent Night s’inscrit dans la mouvance du cinéma d’action contemporain initié par John Wick dix ans plus tôt. La boucle est bouclée. Et John Woo d’icôniser Joel Kinnaman, d’en faire son nouveau Chow Yun-Fat, grand imper à l’appui, comme à la grande époque du Syndicat du Crime. Ne prononçant pas un seul mot pendant 1h40 car rendu muet par une balle en pleine gorge, le colosse suédo-américain livre une prestation toute en force physique, impressionnant de colère intériorisée et de testostérone dans son dernier acte. Le film réussit son pari de ne proposer aucun dialogue, bien qu’il s’appuie par moments sur des flashs radio afin de rendre cohérente la temporalité qui se déroule sur plusieurs mois.

Silent Night Critique Film John Woo

On constate ainsi à quel point le cinéma d’action est souvent trop bavard au détriment de sa propre efficacité. Bien que sur cet aspect certaines scènes paraissent assez improbables ou en décalage avec la réalité, le parti pris fonctionne parfaitement lorsqu’il s’agit de plonger dans la psyché de son protagoniste. L’expérience se veut avant tout visuelle et sensitive. L’ennui ne pointe jamais grâce à des transitions savamment étudiées, un montage clinique et une musique au diapason bien qu’un brin trop discrète. Tout ça est très intéressant me diriez-vous, mais si on se matte un John Woo, c’est en premier lieu pour ses scènes d’action à nul autre pareil. Alors que Manhunt ressemblait plus à un fan-film d’étudiant hommage, le septuagénaire retrouve ici en partie le feu sacré de ses jeunes années. La caméra est mobile, toujours bien placée et aux mouvements d’une fluidité exemplaire.

Mais surtout, quelle maîtrise de l’espace ! Il rappelle à toute une générations de réalisateurs biberonnés à la shaky cam et au montage ultra-cut qu’une fusillade est avant tout un ballet chorégraphié, où chaque coup de feu se répond, où chaque geste amène le plan suivant, permettant une lisibilité irréprochable de l’action. La dernière partie, clairement écrite pour le maître, condense tout son cinéma, véritable clin d’œil à sa filmographie : plan séquence, course poursuite avec motos inclues, amitié naissante entre deux hommes d’action, double pistolets et ralentis obligés. On regrettera juste l’absence des célèbres colombes chères à John Woo ici remplacées par une perruche, et de son fameux cut signature, lorsqu’une même action est répétée à deux vitesses différentes, d’abord au ralenti puis à vitesse normale, décuplant ainsi l’impact.

En dépit de solides atouts, le film affiche tout de même des lacunes, à savoir un sang numérique et quelques effets spéciaux très approximatifs, des rôles secondaires en deçà, un certain effet déjà-vu, mais qu’importe. On ne pensait pas retrouver le père John Woo à nouveau inspiré, qu’on sent sincèrement heureux de replonger dans un cinéma d’action qui a bâti sa légende. Les pisse-froids diront que c’était mieux avant. Alors oui, Silent Night est loin, même très, loin des chef d’œuvres que sont The Killer, Une Balle dans la tête et A Toute Épreuve. Mais ne boudons pas notre plaisir face au (petit) frisson que procure la vision de ce film, à l’envie retrouvée d’un cinéaste trop longtemps relégué au second plan.

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