[Critique] – La Traque


La Traque Affiche Film

Réalisateur : Serge Leroy

Année de Sortie : 1975

Origine : France / Italie

Genre : Thriller

Durée : 1h35

Le Roy du Bis : 8/10
Thibaud Savignol : 8/10


La Mare aux Connards


Débarrassé des clichés de la France profonde et de sa populace de cul-terreux abrutis, La Traque de Serge Leroy fait figure de véritable réquisitoire contre la chasse et une petite oligarchie de notables pour qui tout est permis. Sam Peckinpah traitait peu ou prou du même sujet tabou quelques années plus tôt dans son Chiens de Paille, avec un viol sauvage commis par des ruraux avant que le film ne bascule dans le survival et le règlement de comptes mano à mano. Oh oui, il y a bien quelques crétins pour noircir le tableau c’est bien vrai, du genre à faire beaucoup de bruit et à boire plus de coups qu’ils n’en tirent.

L’histoire se déroule en Normandie, mais aurait tout aussi bien pu se passer dans les forêts de l’Argonne, territoire de jeu préféré de quelques personnalités franc-maçonniques très influentes et parmi eux, les fameux «Weinstein du BTP». Composé d’un casting de premier plan, ce qui aurait normalement du assurer son succès, le film fut un échec, malheureusement peut-être trop en avance sur son temps au vu de la teneur du sujet. La description faite de ce contingent issu de différentes strates sociales est assez représentatif des personnalités qui peuple le monde de la chasse. Il y a des nantis issus de l’aristocratie mais également des rustres du terroir ou des prolos comme les frères Danville, ferrailleurs de métier qui sont parvenus à faire leur trou pour s’inviter à la table des puissants.

La Traque Critique film Serge Leroy

En préambule de la battue, il y a donc la traditionnelle réunion amicale dans la cabane de chasse où les bourgeois taillent le bout de gras, passent du coq à l’âne entre simple trivialités et business respectifs. Malgré leur amitié, il y a des jalousies, des propos médisants et on lorgne sur les titres de propriété de son voisin. Ce genre de conversation replace les sempiternelles concours de bites dans la réalité du monde provincial. La description des différentes personnalités aurait pu aisément tomber dans le piège de la caricature mais il n’en est rien, parce qu’ils sont interprétés de la manière la plus authentique qui soit, sans aucun artifice de mise en scène. La photographie documentaire évoque d’ailleurs les vieux reportages du type Strip Teas, ne faisant que renforcer la sensation de malaise et le naturalisme du film. Et si certains s’intéressent au sanglier, les frères Danville eux mettront la main sur un autre type de gibier : une touriste anglaise qui aura eu la mauvaise idée de s’aventurer dans le bocage normand.

La Traque échappe au voyeurisme tendancieux des films d’exploitation, parce qu’il n’est pas question de se livrer à une mécanique de prédation et de vengeance, mais bien de montrer tous les tenants et aboutissants d’un drame champêtre, dans l’esprit franchouillard et satirique d’un Chabrol. La violence du sujet abordé suffit à scandaliser sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter, et à ce titre la scène du viol n’est en aucun cas érotisée, mais bien montrée crûment afin d’en souligner le caractère abjecte et sournois. L’apathie, l’amertume et les regrets succèdent à l’effet de choc, comme un pâturage immaculé par la rosée matinale qui serait souillé par des empreintes de bottes pleines de boue. L’histoire aurait pu s’arrêter là, sous la passivité affichée par un assureur chétif, mais la victime en décidera autrement en retournant son arme contre l’un de ses agresseurs avant d’être elle-même touchée par un tir de fusil. Dès lors, il ne sera plus possible de revenir en arrière et de faire comme s’il ne s’était rien passé. C’est l’ensemble du groupe qui s’en retrouvera mêlé.

Si les autres membres du groupe ne manqueront pas de condamner les agissements de leur associé, ils ne pourront pas s’en désolidariser si facilement pour autant, faute à des intérêts mutuellement croisés, nous donnant ainsi à voir un véritable défilé d’égoïsme et de pure lâcheté. Les leaders changeront de tête dans cette épreuve, et si la victime complètement apeurée ne pourra pas être raisonnée, il s’agira de noyer le lapin pour ne pas se retrouver éclaboussés par ce sinistre fait divers. Pas de corps, pas de crime. Pas de témoin, pas de problème. Il n’y en aura aucun pour racheter l’autre, pas même un seul pour abréger son calvaire dans ce marécage qui lui servira de sarcophage. Il serai tentant d’attribuer des revendications féministes au film pour en faire une récupération militante, mais c’est avant tout le vernis de cette bourgeoisie qui s’en retrouve étiolé par le degré de cynisme affiché.

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