[Critique] – Dagon


Dagon Affiche Film

Réalisateur : Stuart Gordon

Année de Sortie : 2001

Origine : Espagne

Genre : Horreur Cosmique

Durée : 1h35

Le Roy du Bis : 9/10
Thibaud Savignol : 7/10


Le Cauchemar d’Imboca


H.P. Lovecraft fait partie de ces rares auteurs qui furent incompris de leur vivant. Pourtant, l’écrivain a fondé tout un univers horrifique qui a inspiré de nombreux autres, sondant la peur du noir indicible et de l’horreur cosmique, érigeant des divinités qui pourraient balayer toute l’humanité si elles daignaient se réveiller de leur torpeur, enfuies qu’elles sont dans les profondeurs. Depuis, les cinéastes y ont projeté leurs propre peurs et fantasmes, en se réappropriant le matériel ou bien en prolongeant le travail thématique de son créateur. On pense souvent à l’Appel de Cthulhu en premier lieu, mais il est en quelques autres qui figurent également parmi ses meilleurs nouvelles comme La Peur qui rôde, adaptée en 2004 par Courtney Joyner pour la Full Moon Features, ou bien Le Cauchemar d’Insmouth qui nous intéresse plus particulièrement.

Pouvait-on trouver meilleur réalisateur que Stuart Gordon pour l’adapter ? C’est peu probable, ce dernier s’étant fait le spécialiste des adaptations de l’auteur américain au cours du siècle dernier, puisqu’il a certainement livré les meilleures transpositions que l’on ait vu sur grand écran. Le cinéaste avait déjà envisagé de porter cette nouvelle en 1987 avec son compère Dennis Paoli, qui en avait écrit le scénario. Mais en raison des bisbilles entre Brian Yuzna et Charles Band pour des raisons pécuniaires, le script sera rangé dans un tiroir, destiné à prendre la poussière pendant une quinzaine d’années. Finalement c’est bien grâce à Brian Yuzna que ce projet qui tenait de l’arlésienne verra enfin le jour, lorsqu’il fondera avec Julio Fernandez le label Fantastic Factory.

Si le film s’intitule bien Dagon, il ne fait en revanche que peu référence à la nouvelle éponyme, puisqu’il suit assez fidèlement le déroulement du Cauchemar d’Insmouth, ici transposé au cœur d’Imboca, village côtier du littoral espagnol (production ibérique oblige). Un excellent choix qui ne trahit jamais l’œuvre d’origine, bien au contraire. Le réalisateur en a clairement saisi l’essence qu’il restitue parfaitement à l’écran, insufflant une atmosphère lugubre et oppressante lors d’une nuit tempétueuse, alors qu’un couple de vacanciers se retrouve à devoir lutter contre une horde de villageois vindicatifs et difformes, désirant les sacrifier sur l’autel d’un obscur culte païen. Le film prend ainsi la forme d’une chasse à l’homme au cœur des rues pavés d’Imboca, où le personnage principal tente de retrouver sa femme et de se défaire comme il peut de ces êtres hybrides et tentaculaires.

Dagon Critique Film Stuart Gordon

Il devra quémander de l’aide auprès d’un clochard, qui lui révélera alors l’odieux secret d’un village ayant renié le Christ et vendu son âme au dieu Dagon, en échange d’une pêche abondante, d’une myriade d’or et de trésors, ainsi que d’une vie éternelle dans les abysses de l’océan. La ville est particulièrement inhospitalière, chaque enfoncement dans les allées semblent mener vers un coupe-gorge. Les intérieurs sont poisseux et tachetés de moisissure apparente, toute la cité semblant d’ailleurs contaminée par le même état de dévastation. En outre, le résultat bénéficie d’une vraie dimension sonore, qui nous immerge au cœur de cet environnement ballotté par la pluie incessante, le vent et les flots. Stuart Gordon a d’ailleurs fait le choix de filmer en caméra portée au milieu du chaos et de la mêlée, afin de mieux véhiculer le sentiment d’urgence et de panique vécu par le personnage dans chaque situation.

Les séquences cauchemardesques dénotent souvent d’une petite touche d’humour noir héritée de la comédie slapstick, que ce soit lorsque Paul lutte contre une mère carnassière et mutante qui va lui carrer la tête dans une cuvette de chiotte ou bien lorsqu’il tente de bloquer les portes de sa chambre d’hôtel dont les gonds finiront par céder sous les coups de boutoir des villageois enragés. Si Ezra Godden donne beaucoup de sa personne, Francisco Rabal n’est pas en reste lui non plus dans ce rôle de vieillard alcoolique et pouilleux, qui se fera éplucher le visage lors d’une scène particulièrement horrible à regarder. Le film lui sera d’ailleurs dédié puisqu’il décédera à peine quelques temps plus tard.

Dagon renoue néanmoins avec les excès qui l’ont fait connaître auprès du grand public même si cette fois, le film passera inaperçu lors de sa sortie. Des raisons probablement imputables au contexte de l’époque qui ne s’y prêtait pas particulièrement. Certains effets spéciaux numériques ont quelque peu vieilli, mais dans l’ensemble le maquillage et la caractérisation des hommes-poissons (branchies, mains palmées, regards livides, dents crochus, tentacules à la place des bras voire des pieds) fait son petit effet et porte le film vers une dimension horrifique assez inédite. Les créatures parviennent à nous effrayer rien qu’à l’apparition de leur silhouette, de leur cris rauques, de leur dialecte incompréhensible, ou de leur démarche disgracieuse. Ce n’est pas pour rien si le film évoque à bien des égards le jeu vidéo Resident Evil 4 puisque Shinji Mikami et son équipe de développeurs s’en sont inspirés pour élaborer leur survival horror. A ce jour, Dagon est probablement la meilleure adaptation lovecraftienne portée sur grand écran et sans aucun doute le meilleur film de son regretté réalisateur, qui n’a jamais obtenu la reconnaissance artistique qu’il méritait pour l’ensemble de son œuvre dans la série B. C’est désormais chose faite.

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