Réalisateur : Kurt Wimmer
Année de Sortie : 2002
Origine : États-Unis
Genre : Science-Fiction Dystopique
Durée : 1h47
Thibaud Savignol : 6/10
Un Matrix peut en cacher un autre
La comparaison avec Matrix était et est toujours inévitable vingt ans après la sortie du film. Rien que l’affiche s’inscrit directement en réaction à celle de la saga des Wachowski : personnages renfermés, imposants, vêtus intégralement de noir avec une dimension presque fétichiste et l’air d’être prêts à en découdre. Sûrement une idée marketing d’alors pour surfer sur le succès de son concurrent. Equilibrium propose des chorégraphies de combat très inspirées de celles de Yuen Woo-Ping, plus ancrées au sol, le côté aérien en moins. Petite originalité cependant, le gun-kata, ce mélange improbable ente du kung-fu et la maîtrise d’armes à feu, donnant des scènes sacrément stylisées mais qui parviennent difficilement à s’émanciper de leur modèle Matrixien, à base de ralentis et d’une caméra virevoltante. Même le récit n’y échappe pas lorsqu’il narre le combat d’un agent du système qui découvre un nouveau monde, celui des émotions masquées par une propagande et un contrôle omnipotent de son existence.
Mais au-delà de cet état de lieu, se cache un film plus malin qu’il n’y paraît, brassant bien plus large que la seule influence pré-citée. En 2070, alors que l’humanité vient de survivre à une troisième guerre mondiale, la peur d’un quatrième conflit pointe déjà le bout de son nez. Libria est ainsi créée, dans le but d’éradiquer le Mal propre à l’Homme et ainsi garantir la survive de l’espèce. Comment ? En supprimant les émotions négatives (haine, colère, ressenti), via un nouveau remède, le prozium. Problème, il surprime aussi les émotions positives (amour, joie, émerveillement) dans le même élan. Peu importe, désormais neutralisées, l’Homme a cessé d’être un loup pour l’Homme. Se greffe par dessus un nouvel ordre religieux, celui des Tetra-Grammatons, s’appuyant sur des ecclésiastes pour pourchasser les rebelles qui refusent de prendre leur dose quotidienne anti-émotions. L’ecclésiaste John Preston (Christian Bale), chef incontesté de son ordre, brise un matin sa dose de prozium. Le temps d’en obtenir une de rechange, des émotions commencent à renaître en lui, notamment lors de l’écoute d’une symphonie de Beethoven. A l’instar de Néo, il est victime d’une révélation, et rejoindra bientôt la cause qui lutte face aux excès d’un pouvoir établi et totalitaire.
Plus qu’un système dominant de base, le réalisateur Kurt Winner fait le choix de retranscrire les mécaniques fascistes comme avilissement de l’être humain. Qu’est-ce que le fascisme si n’est un contrôle total de l’individu et la création d’une pensée unique ? Plus sérieux et moins corrosif qu’un Starship Trooper qui abordait frontalement les mêmes questions, Equilibrium s’appuie sur une direction artistique puissamment évocatrice. L’architecture renvoie immédiatement à Metropolis et sa conception verticale, tout en citant l’austérité et le gigantisme des constructions allemandes sous le régime nazi. Le symbole repris comme porte étendard de cette nouvelle nation n’est d’ailleurs pas innocent, fortement influencé par la croix gammée du Troisème Reich. De plus, comme le brûlot de Verhoeven, Winner n’hésite pas à emprunter les codes du film de propagande à la célèbre Leni Riefenstahl, qui n’avait pas son pareil pour glorifier les foules, les bâtisses et les idéologies. On pense également à la froideur de l’architecture de l’Est période Guerre Froide, imposante et déshumanisée. Dès lors, Equilibrium se pose davantage en explorateur du passé que de son présent, mettant en garde sur l’agaçante faculté de l’espèce humaine à répéter ses erreurs.
Citant 1984 d’Orwell ou Fahrenheit 451 de Bardbury dans leur dénonciation de l’éviction de l’Histoire et de la Culture dans les régimes politiques en question, ou encore THX 1138 de Lucas pour sa société sous perfusion, Equilibirum apporte sa pierre à l’édifice en décrivant un monde vide de sens, où le seul but de l’existence est de survivre un jour de plus. Une fois au contact d’œuvres d’art et d’une chaleur humaine qui lui faisait jusqu’alors défaut, les émotions de Preston se bousculent. Il n’avait pas réagi lorsque sa femme avait été enlevée pour suspections de rébellion puis exécutée. Imperméable aux émotions et distant, il n’avait pas eu la décence de regarder sa femme partir.
Quand la situation se produira à nouveau, Preston fera désormais face à la mort, regardant l’âme de son nouvel amour s’évanouir au denier moment. Cette douleur, cette peine et cette rage, c’est son humanité retrouvée, ce qu’il fait de lui un être humain au sens le plus noble du terme. L’art, la vie, la mort, la passion, tout ce maelstrom d’émotions habitent désormais cet ancien chef ecclésiastiques aux méthodes dignes de la Gestapo. Un ressenti intelligemment mis en scène, transformant l’œil de son protagoniste en puissant catalyseur. John Preston sera désormais prêt à se battre pour défendre un idéal et à mourir pour une cause, à l’image d’un final révolutionnaire en diable.
Tourné entre l’Allemagne, l’Italie et le Canada pour profiter de décors à la production value indéniable avec seulement 20 millions de dollars, Equilibrium aurait pu/dû rêver plus grand. Derrière sa ligne narrative classique apparaît une vraie réflexion sur la mécanique d’un système fasciste, aux griffes acérées, plaquant sur ses citoyens une idéologie incontestable pour justifier les pires ignominies. Le film résonne peut être encore plus fort de nos jours à l’heure où la demie-mesure n’a plus sa place, ou tout avis se doit d’être le plus tranché possible, sans réflexion approfondie. En décrivant une société réactionnaire établie en réponse à ses prédécesseurs, comme riposte intransigeante face à des dérives passées inacceptables, il est parfois bien difficile d’imaginer un Equilibrium digne de ce nom pour l’avenir.