Réalisateur : David Schmoeller
Année de Sortie : 1986
Origine : États-Unis
Genre : Gardien Flippant
Durée : 1h30
Le Roy du Bis : 7/10
Please Kill Mr. Kinski
Au milieu des années 80, Charles Band voit grand suite au succès financier de Re-Animator puis de Ghoulies, dont la campagne marketing ne reposait principalement que sur son affiche montrant un gnome sortir d’un chiotte. Un coup de poker gagnant même si ce divertissement souffrait clairement de la comparaison avec Gremlins dont il s’inspirait allègrement. Mais il aura néanmoins permis à Empire Pictures de faire de beaux profits et à son producteur d’entreprendre des projets encore plus ambitieux avec le rachat du studio Dinocita à Rome. L’avantage était triple, puisqu’il bénéficiait de coûts d’exploitation moins onéreux, d’une main d’œuvre qualifiée en provenance d’Italie et d’Europe, et surtout cela lui permettait de réemployer des décors pré-établis pour d’autres productions maison afin de réaliser des films à la chaîne et à peu de frais dans la tradition d’un Roger Corman.
De cette nouvelle organisation du travail va naître un projet de huit clos sur le set alloué au film Troll de John Carl Buechler. Le producteur y voit l’opportunité d’y produire un thriller et missionne David Schmoeller d’en écrire le scénario avant de lui en confier la réalisation. Contraint par les limites de son environnement, le réalisateur imagine un vétéran du Vietnam qui, souffrant de syndrome post-traumatique suite à son emprisonnement et les tortures qu’il a subi, cherche à infliger les mêmes traitements à ses locataires. Les thrillers psychologiques en lien avec le conflit vietnamien étaient alors très en vogue depuis la sortie de Rambo en 1982. La Troma sortira d’ailleurs le traumatisant Combat Shock la même année, si bien qu’Albert Band, père de Charles, préférera botter en touche cette idée afin de changer l’origine du tueur pour un ancien SS allemand et de soumettre l’offre à Klaus Kinski contre un cachet de 100 000 $, permettant au film de s’exporter beaucoup plus facilement.
La personnalité tourmentée de Karl Gunther sera ainsi calquée sur celle de son interprète connu pour son caractère tempétueux et ses frasques légendaires sur les plateaux de cinéma, notamment lors des tournages guérilla dans la jungle que furent Fitzcarraldo et Aguirre, La Colère de Dieu. Mais ses caprices et états de démence très difficiles à canaliser ne faisaient que refléter le talent sans commune mesure de ce monstre sacré du cinéma qui n’a jamais trouvé son équivalent depuis. On se souvient encore de ses nombreuses apparitions dans les thrillers et westerns spaghettis où lui seul était capable d’interpréter des rôles de parfait salaud ou de personnages torturés (Jack l’éventreur). Rien qu’avec ses expressions fiévreuses ou bien ce regard vicieux capable de communiquer tout un large spectre de sentiments sans avoir à prononcer le moindre mot à l’écran, il était capable de paralyser le spectateur.
David Schmoeller ne fera pas exception dans la liste des réalisateurs ayant souffert de leur expérience avec Kinski, et les conflits seront tels que cela occasionnera des dépassements de budget important. L’équipe de production songera comme pour Aguirre à se débarrasser définitivement de sa star dans un accident pour toucher l’argent de l’assurance. Une possibilité néanmoins écartée par Charles Band qui entretenait à l’inverse de très bon rapports avec lui. En tout cas, Kinski et Schmoeller seront irréconciliables à l’issue du tournage, si bien que ce dernier aura besoin d’évacuer sa rancœur dans un court documentaire intitulé Please Kill Mr. Kinski, où il relatera son expérience avec l’acteur un peu à l’image de ce qu’avait fait son compère Werner Herzog avec Ennemis intimes.
Pourtant il parait difficile d’envisager Fou à tuer sans son principal interprète qui campe le rôle d’un fils de dignitaire nazi, et ancien médecin fasciné par l’art de donner la mort. La topographie des conduits sinueux permet d’ailleurs de projeter l’état mental de son personnage, qu’il traverse en rampant sournoisement afin d’aller épier ses locataires et de jouer au jeu du chat et de la souris. Il s’agit sûrement de la meilleure idée du long-métrage, mettant le spectateur dans une position voyeuriste, avant que les pulsions meurtrières du tueur toujours contenues en son for intérieur ne finissent par éclater lors du dernier quart d’heure. Il se mettra alors à chasser les habitantes dans une série de chausse-trappe assez pervers.
On sent Klaus Kinski un peu en retrait dans ce rôle et même d’humeur assez mélancolique. D’où cet élan suicidaire à vouloir quotidiennement jouer sa vie à la roulette russe dans le film tandis qu’un chasseur de nazis s’intéresse de plus près à son profil. Si le long-métrage souffre d’un rythme en dent de scie et ne propose finalement que peu de mises à mort ou de séquences gores, il convient pourtant de saluer la qualité de la mise en scène, appuyée par une composition musicale redoutable de Pino Donaggio, la photographie léchée de Sergio Salvati, chef-op attitré des œuvres de Lucio Fulci, ainsi que cette parfaite gestion de l’espace qui suscite un sentiment oppressant de claustration et d’envahissement de la sphère intime et privé.
A ce titre, le film diffuse un malaise ambiant, notamment dans ses rapports qui se cantonneront le plus souvent à des courtes conversations en apparence tout à fait anodine, mais qui laisseront échapper l’attitude insistante du bailleur capable de déshabiller ses proies du regard. On le verra lors de séquences plus dérangeantes, où il se projette des rétrospectives de films nazis dans son grenier. Ce lieu lui sert de salle des tortures et de musée où sont exposés les restes de ses précédentes locataires, dans des bocaux et sur des mannequins qu’il agrémente de nouveaux éléments.
Le personnage entretient également une relation trouble avec une femme réduite en captivité dans une cage, limitée à une posture animale et primitive, comme pour mieux signifier les traitements infligés aux juifs dans les camps de concentration. Même si on reste évidemment dans le cadre d’une pure série B sans aucune velléités historiques ou sociologiques derrière. Après tout, si on en vient à regarder Fou à tuer, c’est avant tout pour satisfaire nos propres obsessions et pulsions déviantes de cinéphiles, mais aussi pour voir Klaus Kinski en pleine possession de ses moyens, nous gratifier d’un nouvel éclair de folie.