Réalisateur : Yoshihiro Nishimura
Année de Sortie : 2008
Origine : Japon / États-Unis
Genre : Gore WTF
Durée : 1h49
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 8/10
Mais que fait la police ?
Il est amusant de constater, quand on cherche un peu, que le studio Sushi Typhoon est associé à la prestigieuse Nikkatsu, le plus vieux studio de cinéma japonais. La firme décide en 2010 de créer une petite compagnie dédiée au cinéma de genre, de l’horreur à la science-fiction en passant par la fantasy, le tout saupoudré d’un humour décalé et de saillies gores. Aujourd’hui surtout réputée pour ses outrances n’importe nawak, Sushi typhoon a également produit des films de Takashi Miike, comme le malaisant Cold Fish, à la violence froide et cruelle, très loin des excès comico-débiles des nombreuses productions du studio. Ces dernières n’ont d’ailleurs pas étaient nécessairement produites par le studio en question (la date de création 2010 le prouve), mais ont été acquises au sein du catalogue afin de les distribuer. C’est le cas de Tokyo Gore Police réalisé par Yoshihiro Nishimura, l’un des fers de lance de la mouvance gore japonaise des années 2000. L’autre étant Noburo Iguchi, réalisateur de l’indescriptible Zombie Ass : Toilet of the Dead.
Difficile à croire à la vue de tout ce pedigree, mais le film dont il est question ici se révèle plutôt terre à terre par rapport aux autres péloches déglinguées de la firme. Alors qu’elle traque les mutants dans Tokyo, une flic nommée Ruka se trouve confrontée à son passé et aux origines de ces êtres augmentés. Elle devra désormais choisir son camp. Pendant ce temps, la police tokyoïte, désormais privatisée, prend de plus en plus plaisir à massacrer les potentielles créatures des environs. Cette trame de départ permet au récit de faire de nombreuses digressions.
Adoptant par moment le point de vue de son antagoniste, le récit plonge le spectateur au cœur d’un club underground où les mutants se livrent à des ébats tarifés, leurs nouveaux membres promettant tous les fantasmes possibles. Une séquence qui ramène aux grandes heures de Cronenberg et à ses expérimentations corporelles singulières, le mauvais goût en plus. Que ce soit avec cette femme aux jambes remplacées par une mâchoire d’alligator béante, un homme au cerveau apparent dont les yeux sont désormais des mini-canons ou encore une pince en guise de bras, le bestiaire composé pour l’occasion remplit son office.
Dans la lignée de ces expérimentations prothésistes, Tokyo Gore Police est un véritable déferlement de scènes gores, ne lésinant pas sur les geysers de sang au moindre membre tranché. Les amateurs de fluide écarlate en auront pour leur argent : mains tranchées, pénis sectionné, décapitations ou encore écartèlement, il y en a pour tous les goûts. Les effets spéciaux sont à salués, entre réalisme cradingue et débordements outranciers où les corps ne sont plus que des réserves sanguines inépuisables. On pense au Wicked City de Yoshiaki Kawajiri avec ces affrontements entre mutants et humains suréquipés à la surface de la Terre. Mais également à Jin-Roh pour les costumes des forces de l’ordre, derrière leur casque en métal et leurs yeux biomécaniques rougeâtres.
Le réalisateur va jusqu’à citer deux œuvres fondamentales du père Verhoeven, que sont Robocop et Starship Troopers. Le premier pour sa vision d’un futur où la police se voit privatiser, porte ouverte à tous les excès, seulement dirigée par sa propre politique sans État à l’arrière-garde. En résulte de possibles dérives néo-libérales et néo-fascistes que les deux réalisateurs n’ont pas manqué de mettre en scène, s’appuyant sur des visions méchamment corrosives. Pour le second, Nishimura s’est inspiré des fausses publicités propagandistes qui jouaient avec une ironie mordante des thématiques du récit. Il les acclimate ici à deux problématiques tabou au pays du Soleil Levant : le suicide et la peine de mort, et en tire des clips «administratifs» désopilant. On retiendra cette famille qui, grâce à la Wii, peut venger la mort de l’un de ses proches en exécutant à distance le condamné à coups de sabre dans le bide, ou encore cette fausse publicité autour d’un cutter «kawaii» pour se tailler les veines.
Derrière ce spectacle grand guignolesque, et contrairement à d’autres œuvres distribuées par Sushi Typhoon, se cache une pensée pas aussi débile que ses excès sanguinolents le suggèrent. La question des mutants permet depuis la création des comics X-Men de s’interroger sur la discrimination subie par certaines communautés. Tokyo Gore Police ne fait pas exception à la règle lorsque l’héroïne se transforme. Désirant continuer à servir et protéger les civils tokyoïtes, elle est violemment prise à partie par sa hiérarchie qui souhaite s’en débarrasser. Apparaîtra alors au grand jour un complot instigué par le chef de la police, comme figure de la pourriture décadente des hautes instances.
Les tonnes de tripes versées devant la caméra n’empêchent pas d’aborder frontalement des sujets de sociétés controversés au pays des Pokémons. Solliciter son cerveau quelques instants n’enlève rien au plaisir régressif et rétrograde que procure le film. Malgré quelques baisses de rythme, l’œuvre s’impose sans problème comme l’une des références gore de ses dernières années. Techniquement au-dessus du lot, satirique à souhait et carburant à la violence décomplexée, Tokyo Gore Police fait honneur à son titre, nous rappelant que le cinéma de genre est toujours là pour tabasser la bien-pensance et envoyer le bon goût se faire foutre. Amis de la poésie, bonsoir !