Réalisateur : Art Camacho
Année de Sortie : 2000
Origine : États-Unis
Genre : Presque Nanar
Durée : 1h30
Le Roy du Bis : 5/10
Thibaud Savignol : 5/10
A bras raccourcis
Il y a d’abord eu l’effondrement des vidéoclubs. L’essor du DVD nous a offert une belle décennie, puis le support Blu-ray est arrivé sur le marché (qui se souvient encore du HD DVD ?), suivi de la 3D et du 4K. La pandémie de Covid-19 a renvoyé tout le monde chez soi, et les plateformes de SVOD se sont alors goinfrées. Le dématérialisé refermant rapidement son poing sur les foyers du monde entier, nous avons entendu des rumeurs selon lesquelles une poignée d’irréductibles bisseux travaillaient sur des films à même de remporter l’adhésion d’un public lassé par le politiquement correct de Netflix et Disney. La réponse ne se fît pas attendre avec une série de déflagrations et de chocs cinésismiques (Terrifier 2, The Sadness, Winne-the-Pooh : Blood and Honey) laissant augurer un nouvel âge d’or. Soudainement les géants du streaming commencèrent à être désertés, et les bacs à soldes furent de nouveau pris d’assaut face à une horde de cinéphiles carnassiers.
Les nanars post-apocalyptiques comme Gangland 2010 brillent alors de mille feux tel le Phénix des banlieues. Les exemplaires abîmés et passés de mains en mains prolifèrent dans les bibliothèques tel un virus récalcitrant, contaminant ce bouillon de culture aux côtés des Body Bags et autres C.H.U.D. Il y a quelque chose de fascinant pour le nanardeur averti à mettre la main sur un tel trésor au vu de sa distribution et de son speech prometteur. L’excitation fiévreuse retombera pourtant rapidement comme le souffle atomique de son introduction, face à la laideur de la mise en scène et de son format recadré en 4/3. Et seule une cure de bières en bonne compagnie pourra alors vous permettre de passer un vrai bon moment.
Le titre (Gangland 2010) laissait supposer des orgies collectives de coups de feu et de bagarres à bras raccourcis. Mais Art Camacho n’est pas John Woo. Quand bien-même l’ancien cascadeur aurait pu inspirer d’autres de ses confrères (Chad Stahelski), il lui aurait encore fallu pour cela savoir tenir une caméra et composer de vrais affrontements à couteaux tirés. L’entreprise avait des airs de Warriors, mais investit en réalité le territoire plus balisé de Cyborg. Ce ne serait pas un problème si le cinéaste n’avait pas délesté cet héritage de son pouvoir d’abstraction, de sa furia hystérique et guerrière. Sans l’atmosphère de son metteur en scène (Albert Pyun) et dénué des superbes éclairages et compositions de son chef opérateur (George Mooradian), l’intérêt repose donc sur les frêles épaules de son casting d’ex-stars de la série bis (Tim Thomerson notamment).
Évidemment, la version française participe beaucoup au potentiel nanardesque de cette production dispendieuse (4 millions), quand la VO du trailer laissait présager un premier degré plus sulfureux. Fatalement, avec son cachet télévisuel daté et son montage clipesque bardé de champs/contrechamps bien peu dynamiques, le résultat est tout autre. La fresque post-apocalyptique ne tient plus que par l’évocation de quelques environnements, décors et props, faute de ruines d’ampleur, de visions, ou même de costumes excentriques. Tout au plus aurons-nous le droit à une voie rapide saturée d’épaves, une mégalopole déserte incrustée dans le champ au forceps, ou encore des parcs et forêts immaculés parcourus par des bolides et buggys bien peu véloces comparés à ceux de Mad Max 2.
Il s’agit d’un monde dans lequel le méchant de Cyborg (Vincent Klyn) aurait fini par régner, après avoir savaté les burnes de JCVD. Son univers est donc à l’image de son personnage : décadent, vulgaire et figé. Posé sur son trône de rouille et d’acier, Lucifer vocifère, balance des noms d’oiseaux, tranche la tête de ses hommes, tout en faisant régner le chaos et l’ignominie. Mais son antre infernale, saturée de projecteurs, peine à figurer ce semblant de Sodome et Gomorrhe que le réalisateur aurait aimé orchestrer.
En admettant que Cyborg était un bon film (ce qui reste à débattre), que reste-t-il de ce Gangland 2010 où Costas Mandylor, l’australien le plus grec qui soit et avant tout connu pour son rôle de tortionnaire dans la saga Saw, dérouille des kickboxeurs sans jamais lever les jambes plus haut que son corps ? Peu de choses en vérité, si ce n’est une poignée de situations excessives (les mecs qui vident leurs chargeurs à deux mètres sans jamais se toucher), de comportements irrationnels (le journaliste coursé par les gangs dans les rues, le héros qui laisse le meurtrier de sa famille s’en tirer…), et d’incohérences scénaristiques (les gens coulent des jours heureux dans leurs petites banlieues pavillonnaires en pleine guerre nucléaire avant qu’un punk à chien ne vienne leur rappeler la cruauté de ce monde sanguinaire.).
Sasha Mitchel passe du héros au sobriquet, en éternel grand dadais gentil et naïf qu’il a toujours été. Le beau modèle a toujours préféré casser des bras et briser des côtes, quand ce n’était pas les couilles de ses proches collaborateurs. Le bonus du DVD vise d’ailleurs à nous le rappeler avec un bref résumé de sa biographie. L’acteur empâté aurait commis de nombreux dérapages comportementaux au cours de sa carrière sur le petit écran, ainsi que des violences conjugales qui le tiendront écarter un bon bout de temps des plateaux hollywoodiens. Coolio lui fait un caméo remarqué au côté d’Ice-T en mode nécroflic. La scène est d’un mauvais goût potache assumé et se solde dans l’allégresse de la castagne, des empoignades musclées et des bastos dans le buffet. Pourtant cette courte pause récréative laisse suggérer tout l’opportunisme de la démarche. La majeure partie des éditions DVD affichent d’ailleurs le visage de l’acteur (guest-star) le moins en vue de tout le film. L’intrigue est réduite à peau de chagrin, calquée sur celle du réalisateur hawaïen (Albert Pyun).
Il s’agira encore une fois d’un récit de vengeance et de rédemption personnelle recourant aux flash-back, ainsi que d’un antidote capable de soigner tous les maux de cette zone de non-droit. La femme de Lorenzo Lamas (Kathleen Kinmont) s’invite également à la fête pour renverser l’oppression tyrannique du méchant (Vincent Klyn). Ajoutez des poitrines dénudées, du rap, un géant blond de deux mètres génétiquement modifié, quelques explosions, de la tôle froissée, ainsi qu‘une sentinelle de héros vengeurs et désabusés, et vous obtenez alors ce simulacre de Cyborg, parangon de baston et de connerie, pour un tarif bon marché.