
Réalisateur : Lucifer Valentine
Année de Sortie : 2006
Origine : États-Unis / Canada
Genre : Vomit Gore
Durée : 1h11
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 7/10
L’Échelle d’Angela
Qualifié autant de génie que de sombre détraqué, Lucifer Valentine n’est pas le genre d’individu qui laisse indifférent. Artiste avant tout expérimental, son nom trône en bonne place au panthéon du cinéma extrême, bien installé entre Jorg Buttgereit (Nekromantic) et Fred Vogel (August Mordum). C’est avec son premier essai, Slaughtered Vomit Dolls donc, qu’il se fait remarquer en 2006.
Satan est parmi nous
Refusé d’encart publicitaire par le magazine Fangoria, jugeant l’affiche représentant une femme qui saigne du vagin trop choquante, le film n’est accepté dans aucun festival, trop fou, trop dégoûtant. Forcément, de telles réactions ne peuvent que stimuler ardemment l’intérêt des fans de péloches déviantes et extrêmes. Difficilement trouvable pendant des années, revendu à prix d’or sur internet, il est désormais plus simple de se le procurer grâce au travail de l’éditeur autrichien Black Lava, qui a rapatrié plusieurs œuvres de l’auteur sur le continent européen.
S’éloignant radicalement d’un cinéma narratif, Slaughtered Vomit Dolls est avant tout un déluge d’images et de sons, montés de façon extrêmement agressive. Narrant la descente aux enfers d’une jeune prostituée nommée Angela Aberdeen, le trip expérimental proposé par Valentine est réservé à un public très, très averti. A travers flash back et monologues lunaires, le réalisateur dresse le portrait d’une droguée atteinte de boulimie, pataugeant dans sa propre crasse existentielle. Son personnage subit de plein fouet des délires morbides, voyant ses amis se faire charcuter par un homme mystérieux, avant que celui-ci, incarné par Lucifer lui-même, n’envahisse l’écran de ses délires émétophile. Car oui, si le film a autant fait parler de lui, c’est avant tout pour ses séquences de gerbe non-simulées.
Des séquences difficilement regardables pour le commun des mortels, repoussant toujours plus loin la frontière entre cinéma extrême et pratiques réelles. Comme souvent au sein de cette niche, le long-métrage flirte avec l’érotisme prononcée voire la pornographie. Lier la violence et la mort au sexe constitue toujours dans nos sociétés modernes un tabou inaltérable. Ce ne sera pas aussi sulfureux ici, en dehors de l’occasionnelle nudité frontale de son actrice principale et de celle partielle des victimes imaginaires.
Errant dans une chambre d’hôtel miteuse, Angela, droguée et alcoolisée, se rend plusieurs fois aux toilettes afin de rendre le contenu de son estomac. Des séquences qui n’ont pas besoin du système odoramat pour provoquer des hauts le cœur, amplifiés par cette salle de bain crade et sordide, au réalisme suffocant. Une boulimie qui la pousse à vomir jusqu’au sang, gargouillis de gorge en supplément. La répétition de l’acte participe à l’effet anxiogène du film, qui ne cessera pendant 1h10 de malmener son spectateur.

Quand la fiction dépasse la réalité
Derrière cet argument choc, presque promotionnel (Valentine se targue d’avoir inventé le Vomit Gore), l’ultra-violence repousse également les limites du genre. Ses visions poussent Angela à voir des individus suppliciés et livrés aux pires scénarios. Tandis qu’une femme se fera dépecer le visage, une autre aura le portrait violemment refait à coups de pic à glace, en gros plan s’il vous plaît. Pour enfoncer le clou, le réalisateur décide de mixer sa passion émétophile à ses débordements gore : on verra ainsi le tueur se servir d’un bras fraîchement amputé pour se faire vomir avec (effets saisissant car l’actrice est réellement amputée), ou encore une trépanation cradingue qui finira dans un déluge de flux gastriques. Rarement une œuvre n’avait poussé aussi loin la violence crapoteuse et le meurtre pervers.
Au-delà de l’extrême frontalité des actes, servis par des maquillages au réalisme bluffant, c’est surtout la mise en scène de l’artiste qui participe à ce sentiment de malaise prégnant. Œuvre expérimentale oblige, la narration est éclatée, voire inexistante. Lucifier fabrique un cinéma avant tout sensitif dont le but est de nous faire partager les dernières heures d’une junkie, au mal-être percutant. L’image en DV peu définie permet un hyperréalisme à la crudité très premier degré, appuyé par un montage agressif, à la limite de l’abstraction, où s’enchaînent sur un même rythme les vignettes sordides, attendrissantes et hystériques. Le film prend à la gorge le spectateur pour ne jamais le lâcher, créant un malaise étouffant en dehors même des scènes d’extrême violence.
Si l’image agit comme un stroboscope ininterrompu, balançant au spectateur un amalgame d’images chocs et dépressives, le son apparaît alors comme la déflagration nécessaire à un tel spectacle. Confiant lui-même travailler énormément la dimension sonore de ces films, Valentine triture la matière pour noyer son spectateur sous un déluge de sensations auditives : voix remixées et inversées, cris déchirants, pleurs, ralentis sonores étirés, distorsion etc.. Effet garanti avec un système son digne de ce nom. Slaughtered Vomit Dolls constitue une expérience extrêmement éprouvante, qui loin de ne se reposer que sur ses effets chocs, assomme son spectateur et lui propose un voyage en enfer qu’il n’est pas prêt d’oublier.

Strip-Tease
En parallèle, il est également passionnant de découvrir la psyché d’un auteur forcément clivant et polémique. Se confiant dans les bonus du DVD, il raconte l’expérience traumatique de sa jeunesse, où il dû s’occuper d’une petite sœur atteinte d’autisme, alternant entre hystérie et état catatonique, avec qui il aura plus tard une relation incestueuse. Une tranche de vie qui a clairement forgé ses désirs de cinéastes. Il filmait sa sœur régulièrement, celle-ci se livrant à lui lors de ses états de transe, usant d’une voix aiguë ou beaucoup plus grave telle celle d’un homme, quand elle ne ralentissait pas carrément son débit ou parlait dans des langues inconnues. Un procédé qui représente le cœur de Slaughtered Vomit Dolls, où les mêmes effets sont appliqués au personnage d’Angela Aberdeen lors de ses longes déclamations proches de la folie.
En revanche, sa passion du vomi comme fétichisme sexuel lui est venue lors d’un séjour en Finlande et la découverte des versions européennes de Maxhardcore. Un nouveau monde s’est révélé à lui, où des femmes sont pénétrées par le sexe enduit de vomi de leur partenaire. Une pratique qui ne l’a plus quittée, jouant lui-même les scènes de vomissements de son premier film. Sa rencontre avec Ameara Lavey (tristement assassinée en 2017), jeune stripteaseuse à Vancouver, va amener la dernière pièce à son puzzle cinématographique.
La recueillant suite à une fugue (elle n’a que 19 ans), il lui demande en échange un accès total à son intimité et de pouvoir la filmer quand bon lui semble. La relation fonctionne ainsi, et une partie des rushs obtenus apparaissent dans le film dont il est question ici. Une frontière très, très poreuse entre fiction et réalité, qui malgré tout ce qu’on peut penser sur la qualité intrinsèque du film, prouve une nouvelle fois à quel point l’art est un miroir à peine déformant de nous-même. Et pour finir sur une note un peu plus joyeuse, le film est sorti le 14 février 2006. Un vrai plaisantin ce Lucifer Valentine.