
Réalisateur : Wolfgang Petersen
Année de Sortie : 1984
Origine : États-Unis / République Fédérale D’Allemagne
Genre : Conte Fantaisiste
Durée : 1h34
Thibaud Savignol : 9/10
La faim d’histoires
Comme tant d’autres citations avant elle, la chanson Never Ending Story résonne durant l’épisode final de la troisième saison de Stranger Things, la série phare de Netflix. Mais presque 40 ans après sa sortie, que reste-t-il de l’œuvre aujourd’hui culte de Wolfgang Petersen ? Remplacée par une Heroic Fantasy plus adulte et plus violente depuis le succès planétaire du Seigneur des Anneaux, la Fantasy pure n’a aujourd’hui plus sa place sur nos écrans. Jugée trop naïve par une époque de plus en plus cynique, où l’émerveillement a disparu, ses plus fiers représentants tels que Legend, Willow ou Princess Bride ne sont plus que des reliques consacrées sur l’autel de la nostalgie. Pourtant, l’aura de L’Histoire sans fin résonne encore en nous en ces temps troublés.
Enchanter petits et grands
Après le tournage homérique de Das Boot, Wolfgang Petersen s’attaque au roman de Michael Ende publié en 1979. Ayant déjà établi le record du film allemand le plus cher de l’Histoire avec son son film précédent, il remet le couvert pour celui-ci avec un budget atteignant les 27 millions de dollars (contre 14 pour Das Boot). Une coproduction avec la branche américaine de Warner se met en place et le tournage se déroule intégralement en studio, mis à part les extérieurs qui seront tournés à Vancouver. Le cinéaste peut ainsi nous plonger dans un univers de fantasy total. Lorsque Bastien, le protagoniste, se plonge dans la lecture de l’Histoire sans fin, le monde qui nous est proposé n’a plus de limite.
Fantasia regorge de créatures plus irréelles les unes que les autres (golem, hommes-tête, escargots de course…) avec en point d’orgue le grandiose Falkor, mélange improbable entre un chien et un dragon, instantanément icônisé. Un animatronique de 13 mètres de long (!) fut créé pour l’occasion, recouvert de plus de 6 000 écailles. Passé quelques incrustations qui ont forcément vieillies, tout est réalisé en «dur», à l’ancienne. Les décors prennent vie devant nos yeux ébahis, rendant tangible les lieux traversés par Atreyu, alter-ego de Bastien dans cet univers fictif. D’un palais céleste dans les nuages aux grottes sinistres des confins de Fantasia, en passant par les dunes solaires des Sphinx, le voyage proposé par le cinéaste allemand est d’une générosité folle.

La quête d’apprentissage qui se déroule sous nos yeux n’en est que plus forte. Atreyu, lancé à la recherche d’un remède pour sauver l’impératrice et ainsi Fantasia, traversera ni plus ni moins que les épreuves de la vie. C’est là que se trouve l’une des grandes forces du film. L’antagoniste est le Néant, un vide qui aspire inexorablement Fantasia vers sa fin. Pas de monstres, d’orcs ou de goules à affronter, si ce n’est Gmork, la personnification du Néant, mais des sentiments, des concepts à assimiler.
L’énigme des Sphinx sera par exemple la découverte de la confiance en soi pour Bastien. Mais on retiendra surtout la sublime séquence des marais de la mélancolie. Un endroit où l’on affronte le désespoir, faisant face à ses propres démons. Ayant bouleversé plus d’un gamin, elle est le reflet direct du deuil que vit Bastien suite à la perte de sa mère. Atreyu devra lui aussi poursuivre son voyage après la perte d’un être cher.
La lecture méta avant l’heure
Le film aurait pu s’arrêter là, rester un excellent film de Fantasy pour enfants, doublé d’une lecture émotionnelle plus adulte. Mais Wolfgang Petersen y greffe une lecture méta et un discours sur l’imaginaire des plus pertinents. Un lien étroit se crée tout au long de l’aventure entre Bastien et Atreyu, le premier interagissant directement dans le récit du second, en écho à ses propres interrogations. Prémisse de l’aboutissement de cette démarche, une séquence voit Atryu porter son regard vers le miroir d’une grotte. Face à lui, Bastien plongé dans sa lecture. Par un travelling avant le visage de l’un va se superposer à l’autre. Les deux êtres ne font plus qu’un, brisant la barrière de l’imaginaire, réunissant les deux mondes.
Le climax du film, point d’orgue de cette idée, propose une triple mise en abyme vertigineuse, peut être l’une des plus intelligentes vue sur un écran de cinéma avec celle de Last Action Hero. Brisant définitivement le quatrième mur, le réalisateur interroge notre rapport aux contes, aux récits, aux rêves que l’on poursuit, à ce besoin permanent de créer un imaginaire puissant pour sublimer notre humanité. Que sommes-nous sans histoires ?
Lors de sa tirade finale, Gmork l’anti-héros du film, révèle à nos yeux la vraie note d’intention du projet. Le loup explicite la création du Néant, conséquence directe du désespoir des Hommes, de leur renoncement aux rêves et à l’imagination. Un regard d’une acuité perçante, qui résonne encore aujourd’hui dans nos sociétés au cynisme ambiant. Débordant d’idées visuelles à même de nous émerveiller, parfaitement rythmé et sublimé par une bande originale impeccable, le spectacle proposé est gargantuesque. 40 ans plus tard, cette histoire n’a décidément toujours pas de fin.