
Réalisateur : Oz Perkins
Année de Sortie : 2020
Origine : États-Unis / Canada / Irlande / Afrique du Sud
Genre : Conte Cruel De La Jeunesse
Durée : 1h27
Thibaud Savignol : 7/10
La dernière maison sur la gauche
Découvert sur le tard dans nos contrée via Longlegs, polar nineties aux fulgurances horrifiques, Oz Perkins avait déjà réussi à convaincre son monde outre-Atlantique avec ses trois précédents longs-métrages. Après avoir enchaîné les seconds rôles dans les années 2000, le fils du grand Anthony Perkins passe à la réalisation en 2015 avec l’oppressant February. Élève appliqué d’une certaine horreur atmosphérique (bannissons définitivement le terme méprisant «d’elevated horror»), il n’a eu de cesse d’expérimenter cette veine dans le cryptique I Am the Pretty Thing That Lives in the House l’année suivante. Dès lors, Gretel & Hansel représente sûrement l’apogée de ses recherches esthétiques.
Promising Young Woman
Si February avait bénéficié d’un passage moyennement remarqué au festival de Gérardmer et I Am the Pretty Thing… d’une sortie Netflix, écran noir en ce qui concerne le présent long-métrage. On peut l’expliquer par un style post-Arri Aster qui peine à convaincre une partie du public français. Mais comme chez L’Écran Barge on est sous le charme des expérimentations horrico-fantastiques du bonhomme, on a tout de même réussi à mettre la main sur œuvre méconnue. Et on a bien fait.
Reprenant la trame principale du conte des frères Grimm, le réalisateur américain opère quelques modifications significatives. Gretel est désormais le personnage central du récit, plus adolescente qu’enfant, et Hansel perd quelques années au compteur. Une nouvelle dynamique se met en place, Gretel étant à un âge charnière, presque adulte, devant choisir sa voie tout en endossant des responsabilités bien plus lourdes. Une fois chassés de la maison familiale pour cause de famine et quelques errements forestiers plus tard, les deux protagonistes profitent de l’hospitalité d’une vieille femme au fond des bois. Commence alors une confrontation insidieuse avec la sorcière, pour mieux briser la fin de l’enfance et s’affirmer dans un monde sans foi ni loi.
Les premières minutes donnent le ton. Perkins et son directeur photo nous immergent rapidement dans cet univers torturée, sorte de réalisme onirique entre le conte de fée et la cruauté médiévale. Se rapprochant par moment d’une esthétique à la Terrence Malick (courte focale, lumière naturelle, caméra portée), c’est pour mieux la fusionner aux aspérités horrifiques de son auteur. D’une poésie naturaliste, Gretel & Hansel tourne rapidement au fantastique pur et dur, où les bâtisses maudites succèdent aux forêts embrumées et aux arbres menaçants.

Come to the Sabbath
Si par sa lenteur et son goût des cadres vissés les mauvaises langues évoqueront une horreur arty faisandée, c’est avant tout une proposition de cinéma sensorielle, planante, glissant sans détour de la réalité au cauchemar au gré des coupes nettes de montage. Mais surtout, à travers son récit de sorcières, ses chausse-trappes et un goût assumé pour l’ésotérique, affluent les références au cinéma de Dario Argento.
Le complot ourdi dans l’ombre, les éclairages colorés et cette porte d’entrée au fronton de verre citent en abondance Suspiria. En ce qui concerne la quête initiatique de l’héroïne et le goût pour une esthétique fantastico-naturaliste, impossible de pas penser au très clivant Phenomena, sorte de mise à jour contemporaine des sorcières d’autrefois. Décrié en son temps pour sa soi-disant misogynie apparente (la gente féminine finissait souvent la gorge tranchée), Argento ne faisait rien d’autre qu’affirmer une emprise du féminin sur le réel, beaucoup plus sensible et altruiste. Dans un même geste provocateur, tout en lorgnant du côté d’un The Witch quant à ses questionnements émancipateurs en des temps troublés, Perkins questionne la place des femmes libres et indépendantes mises au ban des communautés.
D’emblée confrontée à un monde profondément inégal et violent, Gretel ne pourra que courber l’échine ou s’ériger en paria. Comme si il était impossible pour elle de trouver une place intermédiaire. Confrontée à ces deux modes d’existence, la longue confrontation/fascination avec la sorcière reflète avant tout son propre périple intérieur. Abandonnée par leur mère, responsable d’un petit frère naïf et assaillie de visions d’horreur, Gretel doit trouver les armes nécessaires aux combats de demain.
Pour ce faire, il faudra gratter l’apparence d’une surface aux mille plaisirs (nourriture à volonté, lit douillet), afin de se rendre compte d’une réalité bien plus complexe. À l’image de la répétition narrative des films d’Argento (un secret caché à notre première vision, révélé lors d’un twist final), Perkins rejoue inlassablement le mythe de la maison hantée lors de ses trois premiers longs-métrages. Après la cave comme antre du démon puis une présence persistante au fil des ans, il fait ici du repère de la sorcière le terreau de son contre horrifique. S’amusant de lignes temporelles parallèles pour complexifier son récit, ne reste au final qu’un choix simple, celui entre lumière et ténèbres.