Réalisateur : Josh Trank
Année de Sortie : 2012
Origine : États-Unis / Royaume-Uni
Genre : Ados Boostés
Durée : 1h24
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 6/10
Tragic Heroes
Depuis le tour de force d’Oren Peli avec Paranormal Activity, Hollywood a su exploiter ce nouveau filon jusqu’au trognon. Parce qu’il demande moins d’investissement, moins d’organisation, moins de contraintes et de techniciens, et surtout moins de temps à produire. Y compris pour les scénaristes qui n’ont pas long à effectuer un véritable travail de sape et ne s’embarrassent même plus de respecter la diégèse pourtant garante de la concordance des faits. Le Found footage sert donc surtout d’entonnoir géant dans lequel il convient désormais de tout faire rentrer, pour répondre à ce nouvel engouement qui témoigne de notre voyeurisme et de ce fantasme morbide d’assister réellement à un phénomène surnaturel ou bien à une mort violente.
Ainsi avons-nous vu débarquer sur grand écran d’authentiques enregistrements et témoignages retrouvés par des producteurs opportunistes, désireux de nous en faire profiter. Et il y en a pour tous les goûts : de l’exorcisme (Devil Inside, Le Dernier Exorcisme), des esprits frappeurs (Grave Encounters, Catacombes), des vampires (Vampires en toute intimité, Afflicted), des momies (Pyramide), des zombies (REC, Diary of the Dead), des trolls (Troll Hunter) et invasions venues d’ailleurs voir d’on ne sait où (Cloverfield, Apollo 18, Area 51), des slashers (Derrière le masque), des drames familiaux, des thrillers, des comédies potache, de l’action, de la science-fiction et désormais des super héros. Ces derniers collant parfaitement à l’ère des Avengers, d’autant qu’ils ciblent plus particulièrement les ados en plein chamboulement hormonal et troubles identitaires.
Chronicle porte assez bien son titre, puisqu’on lui suit la chronique d’Andrew, un adolescent borderline frustré et mal dans sa peau, éternel souffre-douleur du lycée, qui semble s’enliser de plus en plus durement dans la dépression. La lente agonie de sa mère en phase terminale et les excès violents de son père chômeur et alcoolique sont devenus son pain quotidien. Il quitte l’enfer de la maison pour en retrouver un autre. Le seul qui daigne lui accorder un tant soit peu de respect et d’empathie c’est son cousin, qui tente de le prendre sous son aile, au même titre que le gars le plus populaire du lycée qui se présente comme délégué. Un soir, ils vont se laisser entraîner par ce dernier dans la forêt, en vue de sonder une crevasse qui s’est formée dans le sol à proximité. La curiosité est un vilain défaut commun à tous les films captés caméra au poing.
Mis au contact d’une matière d’origine inconnue que l’on soupçonne provenir d’une autre planète que la nôtre, les trois ados vont se mettere à développer des dons de télékinésie qu’ils vont tenter d’apprivoiser et de perfectionner. Mais un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, ce qui dans la main d’une personne tourmentée peut vite devenir une arme de mort et de destruction massive. Les raisons de filmer ne seront jamais véritablement explicités. Andrew filme comme il écrirait son journal intime, il le fait autant pour s’éloigner de la réalité que pour exorciser ses traumatismes. Peut-être le fait-il aussi dans un désir de reconnaissance et de popularité, qu’il peine habituellement à recevoir dans son environnement et qu’il peut désormais contrôler et refaçonner à loisir comme nous le ferions probablement.
Qui n’a jamais rêvé de disposer de super pouvoirs pour soulever les jupes des filles comme Bruce tout puissant, voler comme Superman et se renvoyer la balle au milieu des nuages, ou bien jongler avec des carcasses de voitures et les broyer de la paume de la main comme Dark Vador ? De toutes ces possibilités, la plus intéressante restera néanmoins celle de pouvoir filmer sans avoir à tenir la caméra à bout du bras en la laissant léviter avec une certaine fluidité, comme un point de vue omniscient, débarrassé des contraintes physiques. Ces mouvements amples tranchent radicalement avec les secousses, les décadrages et les ruptures d’image habituellement coutumières du genre, même si on aura l’occasion d’y revenir à la fin lorsque le chaos engendré par les affrontements fraternels ne permettront pas à l’objectif d’en capturer l’ampleur et la démesure.
Cela relève autant d’un défaut intentionnel que d’un artifice commun, qui prend ici tout son sens via un propos pertinent : aucun des personnages n’est alors en capacité d’investir correctement le champ, guidés par leur colère et leurs émotions. Une fois n’est pas coutume, le film trahit cependant sa diégèse en alternant plusieurs points de vue par des champs/contrechamps, ce qui soulèverait que les caméras soient reliées entre elles ou bien que cet enregistrement ait bénéficié à posteriori d’un montage. Ce qui ne devrait normalement pas être le cas, sauf si cet argument est pleinement justifié. Une fausse note qui ne viendra cependant pas ternir l’intérêt d’un long-métrage qui ne loupe pas le coche lorsqu’il s’agit de dépeindre les états d’âme de ses héros qui vont peu à peu sombrer dans le chaos.
Comme Incassable en son temps, Chronicle est un véritable bouillon de pop-culture (Akira, Superman, Carrie au Bal du Diable) qui s’intéresse surtout à revisiter la mythologie du super héros, et plus particulièrement du méchant dans un contexte beaucoup plus réaliste. Il s’agit donc pour Josh Tank de dresser le portrait d’un jeune délaissé par ses parents et les institutions en opérant un glissement de ton. Quand le harcèlement scolaire amène un adolescent déséquilibré à se muer en psychopathe braqueur de banque, on passe des blagues potaches voir déplacées dans les couloirs du lycée à des gestes d’humeur, des vengeances narquoises aux règlements de compte violents.
Ces pouvoirs auront un effet révélateur sur les personnalités des trois protagonistes. Leur amitié n’y résistera pas malgré les limites qu’ils s’étaient auparavant jurés de ne pas dépasser. Si les conséquences seront dévastatrices pour Andrew, elles seront néanmoins salutaires pour son cousin Matt, puisqu’elles lui permettront d’atteindre une forme de maturité et de sagesse, illustrées lors du plan final lorsqu’il abandonne la caméra sur une chaîne de montagne enneigée, avant de s’effacer du cadre et probablement devenir le héros anonyme dont le monde a réellement besoin. Quant au caméscope, on suppose qu’il aura été retrouvé par un moine tibétain égaré.