
Réalisateur : Rob Jabbaz
Année de Sortie : 2022
Origine : Taïwan
Genre : Zombies Méchants
Durée : 1h40
Le Roy du Bis : 7,5/10
Thibaud Savignol : 7/10
Pandemic
Le Covid est déjà un lointain souvenir. La psychose des débuts ayant laissé place à une banale lassitude envers ces symptômes souvent bénins sur les jeunes actifs, plus impliqués à remplir leur stock de pâtes et de papier toilette qu’à lutter contre la propagation du virus. The Sadness est là pour nous le rappeler, avec la mutation de son mystérieux virus poussant la population à toutes les formes de dépravation dans les rues, dans la joie et l’allégresse, et surtout sans retenue. Passé de mode depuis plusieurs années, le zombie a trouvé dans cette crise le terreau idéal pour renaître une fois encore.
Orgie dans le sang !
Cela fait du bien de revoir le zombie flick aussi en forme après avoir dû supporter sa dégénérescence suite à la prolifération épidémique de ces comédies potaches ayant suivi le succès de Shaun of the Dead. À force de le tourner en dérision, le mort-vivant ne faisait plus peur à personne et les survivalistes en herbe venaient même à souhaiter l’apocalypse afin de pouvoir en dessouder des centaines à la chaîne. Rob Jabbaz s’approprie cette figure trépanée pour la revitaliser en désinhibant son système limbique, là où Georges Romero en faisait des esclaves abrutis par le consumérisme.
Loin de l’apathie des marcheurs ambulant se délectant de chair humaine, les infectés de The Sadness en ont moins pour les cerveaux que pour les orbites qui leur servent occasionnellement à se soulager d’une bien autre manière. Le seul point commun avec le zombie romérien relève des plus bas instincts animales, confondant toutes notions de bien et de mal. Les infectés ne sont donc plus animés que par leurs pulsions et déviances habituellement refoulés dans un coin sombre de leur conscience.
A cela s’ajoute leur agressivité et des capacités physiques décuplées, évoquant les sprinteurs de L’Armée des morts de Snyder, et parleurs du Retour des Morts Vivants de Dan O’Bannon notamment pour leur sens de la rhétorique aiguisée. Cette transformation physique se traduit à l’écran par des sourires carnassiers et des yeux révulsés d’un noir insondable, qui reflète bien le désespoir abyssal minant nos sociétés après deux ans d’interdictions et de contraintes imposée par nos gouvernements. Le réalisateur finira même par se payer leur tête en faisant littéralement exploser ses représentants en pleine allocution télévisée.

Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil
L’action se déroule à Taïwan avec une intrigue dépouillée jusqu’à l’os afin de mieux nous faire apprécier son chaos urbain et ses atrocités. Un jeune couple se retrouve séparé par la force des événements. Pour se retrouver, ils leur faudra échapper à des hordes de tueurs lancés à leurs trousses. Tandis que la rage se propage, les autorités sont dépassées et ne sont plus en mesure d’assurer l’intégrité des populations s’entre-déchirant dans les transports en commun, s’adonnant aux pires perversités et mutilations. Afin d’éviter le couperet ultime de la censure, le réalisateur préférera esquiver quelques-unes de ces atrocités avec l’aide du hors-champ (le viol orbital) pour mieux se vautrer dans un humour noir assez décapant.
The Sadness n’est probablement pas le film le plus graphique que l’on ait vu débouler sur nos écrans mais il est assurément l’un des plus transgressifs et nihilistes. S’inscrivant dans la tradition des films d’exploitation de la Catégorie 3, à une époque moins permissive où l’on en vient à restreindre les libertés artistiques pour imposer une morale bien-pensante, cela fait du bien de pouvoir se repaître d’un tel carnage. Évidemment ce massacre permet à Jabbaz de faire preuve d’une créativité et d’une variété dans les mises à morts et les sévices déployés (parapluie enfoncé dans la cornée, orgie dans le sang, brûlure à l’huile de friture, élagage à la hachette), risquant de heurter fortement la sensibilité d’un public peu habitué à un tel spectacle.
Cette cruauté jubilatoire dont fait preuve le réalisateur lui permet non seulement de malmener le spectateur mais surtout de mettre en lumière l’animalité de l’homme capable de rejaillir à tout moment lorsque l’équilibre social s’avère troublé. Mais il n’en oublie pas pour autant de pointer du doigt la responsabilité des individus dans un véritable élan misanthrope.
Citons ce quadragénaire qui en tentant de converser lourdement avec une femme pour briser la monotonie déshumanisante de son existence (boulot-métro-dodo) va se retrouver directement taxé d’une réputation de harceleur, pour finalement épouser cette condition en devenant une véritable figure du slasher, sorte de démon lubrique et déchaîné que l’on verra ponctuellement revenir à la charge. Personne ne sera donc épargné mais cette frénésie sanglante ne doit pas nous aveugler sur les limites imposées par cette mécanique de prédation plus opportuniste que véritablement politique ; le film est né d’une commande et se sert surtout de la pandémie comme principal argument.
Après avoir tourné à plein régime dans sa première partie The Sadness finira peu à peu par baisser son régime moteur, s’enfermant dans une successions de d’environnements cloisonnés et un récit de survivance balisé, avec recherche de l’antidote et sauvetage héliporté à la clé. Mais on ne va pas bouder notre plaisir de (re)voir enfin un film aussi sale et méchant sur grand écran. Gageons qu’il puisse montrer la voie à une nouvelle génération de cinéastes désireux de souiller le tréfonds de nos âmes.