
Réalisateur : Billy Tang
Année de Sortie : 1993
Origine : Hong-Kong
Genre : Descente Aux Enfers
Durée : 1h30
Thibaud Savignol : 7/10
Folie à Deux
Célèbre pour ses excès et débordements en tout genre, La Catégorie 3 (appellation regroupant les films interdits aux moins de 18 ans à Hong Kong à partir de 1988) propose avec Run and Kill l’un des fleurons de son catalogue. Fort du succès d’estime de Dr. Lamb, Billy Tang continue de fournir aux spectateurs leur dose de violence et de déviance. Après avoir mise en scène la véritable histoire de Lam Kor-wan, tueur en série qui sévit dans les années 80, il s’attaque cette fois-ci à un pur récit de fiction, où un pauvre quidam va vivre une descente aux enfers rarement vue sur grand écran.
Les bons comptes font les bons amis
Mari aimant, bon père de famille et chef d’entreprise travailleur, Cheng a tout du genre idéal. Mais un jour, en rentrant plus tôt du boulot, il surprend sa femme dans le salon avec un autre homme. Incapable de réagir (il conseille même aux amants de le faire dans le lit pour plus de sécurité), il décampe et part se biturer comme il faut dans les quartiers mal famés de la ville. Saoul, il demande à un tueur professionnel de s’occuper de la fautive. A son réveil, il constate que l’homme a tenu parole. Un gang vietnamien le fait dorénavant chanter et demande beaucoup d’argent pour le service rendu. Dépassé par les événements, Cheng sombre alors dans une spirale infernale sans fin, à l’issue forcément sanglante.
Rapidement, toute une galerie de personnages plus tordus les uns que les autres se succèdent sans temps mort. De la simple séductrice de bar au ponte de la mafia, en passant par des petites frappes et des gangsters du dimanche, Cheng ne sait plus à quel saint se vouer, enchaînant les mauvaises rencontres et luttant pour sa survie. Si un gang de chinois continentaux l’accueille, c’est pour mieux se faire dézinguer lors d’un affrontement en plein cinéma, où les coups pleuvent grâce à un montage ultra-syncopé et percutant, dans une ambiance feutrée où chaque éclair de violence surgit de l’obscurité.
Comment peut s’en sortir un citoyen lambda face à tous ces siphonnés du bocal qui ne cherchent qu’à occire ou racketter leur prochain ? Le récit est idéal pour dépeindre ce personnage gauche mais attachant, un brin pathétique mais foncièrement bon, seule bouée (presque) morale parmi les fous.

Kent Cheng, davantage habitué aux seconds rôle (bien qu’il soit également réalisateur et producteur), livre une performance hallucinée, sombrant progressivement dans une folie vindicative qui montera crescendo jusqu’au final cathartique tout en fureur. Bien que certains reprochent à la première partie sa lenteur, elle constitue pourtant le point de départ parfait pour s’attacher au protagoniste et ressentir sa longue et lente dégringolade jusqu’au point de non retour.
En face de lui, comme boss ultime, se dressera le déjanté Simon Yam, qui a éclaboussé la Catégorie 3 de toute sa bargitude (Dr. Lamb, Full Contact). Pour une raison que nous n’évoquerons pas en ces lignes, ce dernier va se mettre à traquer notre héros comme un gibier, faisant basculer le dernier tiers du film dans l’horreur la plus totale, où la mort et la folie n’ont plus de limite. Selon Yam, la seule consigne du réalisateur était de faire toujours plus fou, toujours plus diabolique.
Le spectre d’une société divisée
Moins provocateur et barbare que l’inégalable Ebola Syndrome, Run and Kill bénéficie pourtant d’une côte de popularité qui ne faiblit pas. Son climax y est pour beaucoup, mais il la doit également à une progression scénaristique savamment orchestrée et un rythme qui échappe progressivement à tout contrôle. Si il démarre sur un tempo pépère, c’est pour mieux nous imprégner de cette déliquescence programmée, avec son héros pataud et son humour Hong-kongais typique, toujours dans l’excès. C’est également le choix du point de vue qui permet une empathie certaine pour les épreuves à venir, là où le salopard infâme d’Ebola créait forcément une distance immédiate avec le spectateur.
En réussissant sa première partie, qui non n’est pas trop longue (bis), Billy Tang réussit à choper le spectateur par le col et peut alors lui délivrer un déluge de tatanes ininterrompues. Troquant rapidement les gags lourds contre un humour noir grinçant, et même absolument morbide lors du final, le metteur en scène aligne les sévices et mises à mort expéditives, sans oublier pour autant de soigner sa photo et sa mise en scène. Catégorie 3 oblige, on cherche toujours à repousser les limites des actes filmés. Si on n’atteindra pas l’outrance des films d’Herman Yau, le récit viendra tout de même titiller la fibre familiale, livrant mère et enfants aux mains d’un psychopathe sadique et hors de contrôle.
Bien que le réalisateur ait toujours refusé de quelconques allusions politiques, il dresse pourtant involontairement un portrait au noir de sa cité. Accueillis à bras ouverts à la fin des années 70 pour fuir les régimes communistes de leur pays, les réfugiés chinois du contient ainsi que les vietnamiens ont vu leur image se dégrader au cours de la décennie. La rétrocession de Hong Kong à la Chine ratifiée en 1984, les événements de Tiananmem en 1989, combinés aux braquages express des continentaux, expliquent en partie ce changement.
En ce début des années 90, leurs rôles au cinéma revêtent désormais une connotation négative. Si l’inspecteur Man, bien intentionné mais impuissant apparaît comme la représentation de l’entité britannique, Cheng, le Hong-kongais moyen, symbolise une partie de la population coincée entre ces nouveaux venus, et peut-être ouverte à envisager le pire. Derrière son spectacle excessif sans limite aucune, se dresse également une déflagration toujours plus politique.