
Réalisateur : Herman Yau
Année de Sortie : 1996
Origine : Hong-Kong
Genre : La Morale A Foutu Le Camp
Durée : 1h38
Le Roy du Bis : 9/10
Thibaud Savignol : 8/10
Le King-Kong de la Catégorie 3
Sorti l’année précédente, Alerte ! de Wolfgang Petersen avec son virus Motaba, citait déjà ouvertement l’épidémie mortelle d’Ebola survenue au Gabon et Zaire entre 1993 et 1994. Réutilisant ce pitch de départ, l’ultra influent producteur Wong Jin, commercial né au nez fin, rédige le point de départ du futur Ebola Syndrome.
Naissance d’un monstre
Suite au très gros succès de The Untold Story trois ans plus tôt, il débauche à nouveau Herman Yau, véritable couteau suisse de l’industrie (il a été chef opérateur, notamment chez Tsui Hark), lui accordant carte blanche sur le projet. S’inspirant de l’une de ses propres connaissances au caractère borderline et parfois hors de contrôle, le metteur en scène dresse le portrait d’une ordure, d’un homme sans limite, sans retenu, prêt à assouvir toutes ses pulsions.
Alors qu’il est pris en flagrant délit d’adultère, Kai commet un triple homicide avant de prendre la poudre d’escampette direction l’Afrique du Sud. D’entrée de jeu, Herman Yau indique la couleur à venir de son long-métrage. S’ouvrant sur une partie de jambes en l’air plutôt rugueuse, avec un Anthony Wong déjà en démonstration sadique et perverse, l’arrivée du mari sonne la fin de la récréation. En véritable sociopathe, Kai adapte son comportement aux exigences de la situation.
D’abord humilié, roué de coups, suppliant pour sa vie jusqu’à se faire uriner sur le visage, il profite du bref relâchement de son bourreau pour inverser le rapport de force. Le retour de bâton se fera au centuple, coupant la langue de son amante et brisant la tête de son mari grâce à la solidité d’une table pliante. Si l’enfant sera miraculeusement sauvée par l’intervention d’un voisin, toute la folie rageuse du protagoniste éclabousse déjà l’écran.

Le Mal à l’état pur
De l’aveu même du réalisateur, l’introduction lui permet de passer immédiatement un pacte avec le spectateur quant au déroulé à suivre. Ici guidé par la volonté de livrer une œuvre de forcené sans concession, il saisit son auditoire à la gorge pour ne desserrer l’étreinte qu’en de rares occasions. Alors que la fameuse Catégorie 3 avait pour but premier de sanctionner les films trop osés (sexe, violence, injures, triades et politique), elle a au contraire donné naissance à un sous-genre conscient de lui-même, extériorisant les pulsions les moins nobles du public Hong-kongais ainsi que la peur de la rétrocession à venir en 1997. Ebola Syndrome en constitue sans hésitation son sommet.
L’œuvre se vautre avec complaisance dans une sauvagerie très premier degré, sans recul critique, le tout saupoudré d’un humour noir ravageur, en contraste du sérieux étouffant de The Untold Story. Une fois à l’autre bout du monde, Kai se retrouve cuisinier/serveur dans un restaurant chinois, larbin de son patron, exécutant toutes les tâches ingrates. Alors qu’ils se rendent dans un village africain au cœur de la savane, les voilà confrontés aux ravages de l’épidémie Ebola, où les malades et les morts s’accumulent.
Fidèle à son absence d’éthique, Kai en profite pour violer et massacrer à coup de pierre une femme porteuse du virus. Dorénavant contaminé, toute sa rage va pouvoir exploser sur le reste du monde civilisé. Anthony Wong pousse les curseurs du mauvais goût au-delà de tout antécédent, vociférant à la moindre contrariété, insultant son prochain avec panache tout en faisant preuve d’une lâcheté et d’un opportunisme assez pathétiques.
A l’instar de son essai précédent avec Herman Yau, il se réjouira de proposer à nouveau à ses clients des morceaux de viande humaine, dissimulés dans des bons petits plats. Le film ne lésine pas sur la violence graphique, justifiant son statut culte de film débridé : perforation des yeux au cure-dent, autopsie faciale en gros plan, découpage de cadavres…

Syndrome misanthrope
Le contrat est si bien rempli, que malgré son appartenance à une frange de films dédiés aux majeurs, un peu plus de deux minutes seront coupées par la censure, notamment les plans les plus démonstratifs (désormais visibles grâce à l’édition de Spectrum Films). La mise en scène se veut encore une fois crue, frontale, collant sans cesse aux basques de son anti-héros, en opposition totale à celle d’un Billy Tang (Dr Lamb, Red to Kill), beaucoup plus esthétisée. Pas de poésie ou d’effets de style ici, l’efficacité et la méchanceté priment sur tout le reste.
Mais au-delà de ces exactions meurtrières, qui rassurez-vous ne font pas dans la demi-mesure, on est avant tout confronté à un être dénué de la moindre morale, du moindre scrupule, qui laisse libre court à la moindre de ses envies. Une sorte de figuration d’un électron libre, émancipé des codes de société, qui devient par la force des événements un fantasme d’anarchie totale, ne devant plus répondre de rien ni de personne, seulement guidé par sa propre survie.
Si le réalisateur s’amuse à l’ériger en modèle contre-culturel, voire même symbole d’une lutte des classes entre ceux qui n’ont rien et ceux qui possèdent tout, il n’hésite pas à le traiter de révolutionnaire raté, plus proche d’une bête que d’un véritable être humain. Œuvre au mauvais esprit frondeur, Ebola Syndrome témoigne d’un cinéma Hong-kongais libre, complètement fou, sans ingérence aucune du régime chinois, qu’on ne risque pas de retrouver de si tôt. Un vrai trésor en somme.