[Critique] – The Substance


The Substance affiche film

Réalisateur : Coralie Fargeat

Année de Sortie : 2024

Origine : France / États-Unis / Royaume-Uni

Genre : Body Horror

Durée : 2h20

Thibaud Savignol : 8/10

Sortie en salles : 6 novembre 2024


Date Limite de Consommation


VOUS ACTIVEZ, une seule fois, VOUS STABILISEZ chaque jour, VOUS PERMUTEZ tous les sept jours. Avec ce produit miracle, terminée la mélancolie vieillissante et place à une meilleure version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite. Prix du scénario à Cannes 2024, Coralie Fargeat démontre qu’un simple high-concept de départ peut se muer en une œuvre protéiforme, tentaculaire et jusqu’au-boutiste, à mille lieues des pudibonderies Blumhousiennes délaissant régulièrement leur fort postulat de départ pour revenir sur des rails beaucoup plus traditionnels.

La fontaine de jouvence

Collant ici aux basques de l’ex-star désormais has been Elisabeth Sparkle (Demi Moore), aujourd’hui vedette d’une émission d’aérobic, la réalisatrice met en scène la longue descente aux enfer d’une femme psychologiquement ravagée par les affres du temps, dont la seule bouée de sauvetage semble être un remède miracle promettant une seconde jeunesse sous la forme d’un double idéalisé (Margaret Qualley).

Jamais subtil (un choix que Fargeat a toujours assumé), The Substance est un brûlot premier degré, mais pas dénué d’humour, sur le rejet du corps féminin vieillissant au cœur de l’industrie du spectacle, et plus largement dans l’espace public. Le film ne se contente pas d’interroger les cannons actuels de beauté et l’idéal féminin, mais fait du corps la matrice de ses enjeux et de sa mise en scène, dans une logique de libération des carcans et de destruction du regard oppressif.

Le script s’évertue à explorer brillamment chaque ramification de son point de départ : quel effets secondaires provoque le produit ? Que se passe-t-il si on ne permute pas au bout de sept jours ? Une dissociation cognitive risque-t-elle de se produire ?

The Substance Critique Film

Solidement écrit et ne délaissant aucune zone d’ombre, le long-métrage plonge alors ses protagonistes dans une fuite en avant schizophrénique, à la recherche d’un temps perdu et d’une jeunesse éternelle, où le corps mince, pulpeux et ultra-sexualisé se confond entre arme de séduction massive et exploitation du désir masculin. La version rajeunie d’Elizabeth Sparkle (littéralement «éclat») semble être vouée à répéter les mêmes erreurs, se fourvoyant dans une spirale artificielle, illusion d’un pouvoir obtenu par ses charmes alors qu’elle n’est que l’instrument mercantile d’un monopole médiatique et paternaliste.

La mise en scène, extrêmement formaliste et stylisée, s’évertue à mettre en parallèle aussi bien la déliquescence des corps que la jouissance d’une fermeté retrouvée. Ne s’embarrassant d’aucune limite pour illustrer sa thématique, Fargeat filme ses actrices dans leur plus simple appareil, sous tous les angles, presque jusqu’à l’écœurement. Si Demi Moore dépérit dans son appartement, incapable désormais d’assumer ce corps voué à disparaître aux yeux de la société, son alter ego juvénile croque la vie à pleines dents.

La réalisation fixe et cadenassée pour la première (cadres larges et vides au domicile) est balayée par la fougue de la seconde, inondée de couleurs pop, filmée sous tous les angles à la façon d’un clip MTV, ralentis et gros plans de fessiers en prime, dans un entre-deux permanent entre réappropriation de son corps et vulgarité dégradante. Progressivement, le succès de la plus jeune provoque un envahissement fatal de cette doublure, au pouvoir d’attraction et de fascination inarrêtable.

Une odyssée du cinéma d’horreur

Le long-métrage abonde sous les références, reflète la cinéphilie de son autrice, sans jamais perdre de vue les objectifs de son récit, à l’image d’un Tarantino. Cronenberg est forcément de la partie, mutilation corporelles obligent, et excroissance comme reflet d’une psyché torturée (le beaucoup trop sous-estimé Chromosome 3). Si des comparatifs s’amusent déjà sur internet à répertorier les plans calqués sur des classiques du genre (Psychose pour le visage contre le sol dans la salle de bain et Shining pour la moquette du couloir), on retrouve ses influences dans la structure même du scénario.

The Substance Critique Film

Impossible de ne pas penser aux grandes œuvres de Roman Polanski, que ce soit Rosemary’s Baby (le processus angoissant d’un corps étranger), Répulsion (le huit clos paranoïaque et schizophrénique) ou encore Le Locataire (la terreur engendrée par le double). Des références validées par l’intelligentsia et la critique cinéma, qui pourraient presque faire de The Substance le bon élève de «l’elevated genre», cette notion ridicule et méprisante pour légitimer sa consommation de cinéma horrifique.

Attention Spoiler !

Fin du Spoiler

Si le cinéma de genre français connaît un regain de forme certain ces dernières années, Coralie Fargeat en est sans doute l’une de ses plus belles représentantes. Beaucoup utilisent ce medium pour transmettre des messages ou profitent de sa particularité afin d’en tirer des métaphores parfois pompeuses et scolaires, plus préoccupés par ce qu’ils ont à dire que parce qu’ils se doivent de nous montrer. Il n’est pas question ici d’une réflexion de fan boy attendant seulement la répétition d’un même schéma éculé ou une cascade de clin d’œils aux classiques de l’horreur, mais juste une envie de voir des propositions qui vont au bout de leurs idées et assument leurs partis pris.

La réalisatrice de The Substance étreint à bras le corps ce cinéma de genre, si permissif quand on s’y confronte réellement, chérit ses amours cinéphiliques, aussi barrés qu’ils soient, sans jamais renier la dimension politique de son œuvre (le corps féminin comme monstre à en devenir au fil du temps). On espère maintenant qu’on ne devra pas attendre encore sept ans avant la prochaine livrée.

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