
Réalisateur : Raphaël Delpard
Année de Sortie : 1980
Origine : France
Genre : Vieux Déments
Durée : 1h31
Thibaud Savignol : 5,5/10
Sortie en exclusivité sur Shadowz : 14 mars 2025
Le Naufrage de la vieillesse
Les vieux ont toujours suscité une peur irrationnelle, celle de se voir soi-même aux portes de la mort. Ces corps et visages fatigués, délabrés, usés par la vie, nous rappellent constamment à notre propre mortalité, inéluctable. Ce troisième âge constitue ainsi une caste à part, entre attachement (nos parents souvent vieillissants) et pure terreur, où notre humanité se fane progressivement, assistant à des comportements étranges, face à des corps comme objets de cauchemars.
Seul contre tous
Des œuvres telles que La Sentinelle des Maudits ou encore Rabid Grannies (Les Mémés cannibales en VF (!)) avaient déjà fait de ce malaise latent le fondement de leur mise en scène. Longtemps laissée au placard, négligée pour se focaliser davantage sur les zombies, monstres ou autres tueurs fous, la vieillesse comme terre d’effroi a de nouveau le vent en poupe ces dernières années. De The Visit à Hérédité, en passant par le sympathique mais oubliable Old People, le troisième âge est de retour, dans tout ce qu’il a de plus infernal et malsain.
Parce qu’en 1980, à part les bisseries de Jean Rollin et quelques tentatives isolées (Calmos, Les Chiens), le cinéma de genre français s’apparente à un désert. Et un vrai, genre Sahara ou Arabie. Après une petite comédie des familles (Ça va pas la tête) et une tentative érotique dans l’air du temps (Perversions), Raphaël Delpard choisit la voie horrifique avec cette Nuit de La Mort. Fin du chômage pour Martine, qui se réjouit du poste d’infirmière-gouvernante qu’elle vient de trouver. Mais dans ce grand château où elle exerce, il se pourrait bien que les vieux pensionnaires soient en réalité une secte cannibale des plus voraces.

À l’image des Raisins de la mort, Delpard convoque une pure esthétique fantastique, citant autant les grandes heures de la Hammer que l’étrangeté insidieuse ibérique. Le manoir est bien trop grand pour ses occupants, les couloirs sont oppressants, jusqu’à la brume qui s’invite dans le jardin, empêchant via son aura ectoplasmique toute fuite possible. Avec des moyens que l’on devine ridicule, La Nuit de la Mort parvient dans ce quasi huit-clos, à distiller une véritable étrangeté, autant maîtrisée (quelques jolis travellings, un décor à la plus-value indéniable) que fortuite.
Avec les moyens du bord
Car bien qu’il réussisse quelques miracles avec deux cartons et trois bouts de ficelle, Delpard est souvent rattrapé par ses limites budgétaires, que l’on devine étriquées au possible. Si Isabelle Goguey s’en sort pas trop mal malgré une diction très syllabée, le reste du casting fait dans l’outrance permanente, mention au valet Flavien, donc le rythme monolithique et inexpressif dénote presque de la cacophonie générale. Pour les résidents, l’excès finit par fonctionner, étant des êtres à la longévité record, perdus dans le décompte des années, s’amusant à sacrifier des innocentes lors de rituels païens, et jouissant de leur position d’assistés.
Qui dit film fauché, dit également technique parfois à la ramasse. Entre raccords étranges, sautes de plans, éclairages forcés ou différentiel sonore des dialogues, le long-métrage accuse le manque d’argent, tout autant que le poids des années. Saluons cependant les effets spéciaux qui poussent les potards du gore vers des limites qui n’étaient pas encore communes à l’époque. Bien que parfois approximatifs et au découpage grossier (le plan à effets spéciaux mis en avant sans trop de subtilité), la générosité affichée surprend au cœur d’une œuvre avant tout fantastique : yeux crevés, main tranchée net ou encore ce superbe cadavre décharné suspendu.
Malgré toutes ses imperfections, ses ratés, et son rythme par moments léthargique (1h15 aurait suffi), on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine sympathie pour l’œuvre ; on pense longtemps après le visionnage aux vieux avançant à pas de loup dans ce couloir interminable, ou à cette fin infiniment cruelle. Témoignage archéologique d’une époque où seuls quelques fous osaient se risquer au cinéma de genre (l’improbable Devil Story de Launois quelques années plus tard), La Nuit de la Mort constitue une véritable découverte. On remercie Le Chat qui Fume pour avoir restauré, édité et remis au goût du jour cet oublié du 7e art, en espérant de nouvelles pépites de cette trempe à l’avenir, aussi bancales soient elles.