
Réalisateur : Ridley Scott
Année de Sortie : 2024
Origine : États-Unis
Genre : Gladiateur Vénère
Durée : 2h28
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 6/10
Sortie en DVD/Blu-ray chez Paramount : 13 mars 2025
Make Rome Great Again
N’étiez-vous pas rassasiés par les moulinets et les cris de Russell Crowe ? Personne n’en voulait, pourtant Ridley Scott l’a fait. Offrir une suite à l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre : Gladiator. La mode est un éternel recommencement, et le triomphe récent de la série Game of Thrones a prouvé que le néo-péplum pouvait éventuellement encore faire bander les gens.
La Loi des Césars
Tout est dans son générique introductif animé digne d’une I.A. : il faut rejouer la tragédie d’il y a 20 ans. Le public veut de l’action. Le public veut des monstres. Le public veut du sang. Alors Ridley Scott nous offre ce divertissement ultime, où il sera moins question de transmission que de décadence hollywoodienne, dans tout ce qu’elle a de plus spectaculaire mais également d’artificielle, creuse et vaine. Les détracteurs auront beau parler de virilisme mal placé, d’errances narratives, ou de libertés historiques, personne ne viendra occulter la plaisance de fouler à nouveau le sable du Colisée.
Paul Mescal, premier de la classe plutôt belle gueule, inconnu du grand public, succède à l’illustre Russel Crowe pour éructer plus qu’à son tour et laisser libre cours à une rage primale, plus animale que la pire des bêtes. Face à lui un duo d’empereurs tyranniques se donnant la réplique (Fred Hechinger, Joseph Quinn), une armée de prétoriens, un négrier complotiste (Denzel Washington), et surtout un général qui s’en tamponne le coquillage (Pedro Pascal). Le fils spirituel va donc devoir se réapproprier l’armure et le glaive pour croiser le fer et faire chuter l’empire du mal, pour l’amour, pour l’honneur, mais aussi pour se venger.
Avec cette séquelle tardive et dispensable, Ridley Scott cherche à livrer un état des lieux de l’industrie du grand spectacle, versant dans la surenchère la plus barge et outrancière. Invasion de forteresse numide, batailles navales, nuée de babouins enragés, bisbilles et empoignades musclées dans les palais, rhino féroce et hordes de requins affamés viendront divertir la plèbe rompue aux combats de pugilistes. Si l’intrigue et les ramifications sont complexifiées inutilement pour forcer la filiation avec le premier volet, l’écriture shakespearienne cède rapidement face aux coups de boutoirs des galères romaines arrosant le Colisée de leurs flèches enflammées.

L’Ombre du Père
Ridley Scott a toujours été un entertainer au service du spectacle, un franc-tireur qui n’a pas peur de dériver vers la violence permissive et l’excentricité propre à la série B. En outre, il y a une certaine forme d’admiration à voir ce cinéaste que tout le monde cherche à enterrer, enchaîner les blockbusters à rythme métronomique. Plus démesuré, plus audacieux, plus enlevé, Gladiator II est à l’instar de ses descendants du péplum italien, une anomalie à gros budget, une séquelle bâtie de rien, sur les restes d’un squelette.
La vacuité est au cœur de cette suite filant la parfaite misanthropie avec son duo de frères calligulesques n’ayant d’attrait que pour la misère, la mort, et la destruction. Les tics scottien par excellence, hérités de son passé de publicitaire, servent subtilement le propos, et atteignent leur cible grâce à la portée critique que le cinéaste entend faire de son gagne-pain. Gavé par ce kaléidoscope d’images spectaculaires et de compositions saisissantes, le spectateur les oublie instantanément face à la vélocité des ces prises de vues offertes par 12 caméras tournant en simultané.
Paradoxalement, si le film verse allègrement dans des reconstitutions fastueuses et grandiloquentes, la variété de ses artifices et effets ne suffiront jamais à étancher la soif du public, qui ne retrouvera jamais l’intime épique du premier volet. L’aura majestueuse de sa mise en scène est ici diluée dans le grand bain des CGI se déversant dans l’arène sans jamais discontinuer.
Les mouvements amples et dynamiques, les plans larges et aériens, le découpage incisif et brutal, finissent néanmoins par réduire l’impact visuel et émotionnel que le film cherche souvent à atteindre. Plus barbare et bourrin, moins poétique ou romanesque, Gladiator II se heurte avec perte et fracas sur un monolithe infranchissable, martelant son public de flash-back sur-explicatif tout en inondant la partition de son épitaphe céleste (Now we re free).

Pugnace et vorace
Le fils devra donc poursuivre la quête du père quitte à en mimer la gestuelle au plan près, ou à débiter les mêmes répliques n’ayant plus la même résonance qu’auparavant mais plutôt celle d’un slogan publicitaire dévitalisé (« ce que l’on fait dans sa vie, résonne dans l’éternité»). Le champ d’Elysium a depuis été moissonné. Ce sont ces graines séminales que portent désormais son héritier.
Les discours galvanisants n’inspirent plus des masses depuis 300, surtout lorsqu’ils sont déclamés avec aussi peu d’éloquence et d’ampleur dramatique. À l’inverse, l’interprète se lance comme un fou allié dans la mêlée, imposant son rugissement tel un fauve ayant tout à prouver. La vigueur et l’audace ont le mérite de nous en toucher une à défaut de faire bouger l’autre.
La surprise se révèle en réalité de l’autre côté des tribunes, au sein des intrigues de palais, manigances et complots d’un entrepreneur-colporteur véreux souhaitant enrayer la machine de l’intérieur pour en devenir le maître incontesté. On reconnaît bien là toute l’hypocrisie d’un cinéaste se complaisant à filmer la chute d’une civilisation gangrenée par les extrêmes. Tout détruire, pour mieux recommencer, ad vitam aeternam afin d’entretenir et pérenniser l’institution.
À 87 printemps bien sonnés, voilà ce qui anime encore les velléités du cinéma de Ridley Scott. Pourtant, Gladiator II reste enchaîné par sa condition de blockbuster saisonnier. Car dans cette violence rouge écarlate où les doyens (Derek Jacobi) et icônes d’hier (Connie Nielsen) sont conviés à mordre la poussière pour laisser la place au duo Pascal/Mescal d’exister, il ne faudrait pas oublier de rendre à César et de célébrer la grandeur de son réalisateur.