
Réalisateur : Andrew Niccol
Année de Sortie : 1997
Origine : États-Unis
Genre : SF Eugéniste
Durée : 1h46
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 7/10
Un P’tit truc en plus
La nature ne nous crée pas égaux ; courroux divin, destin ou malchance, peu importe. Qu’on le veuille ou non, certains seront plus forts, plus intelligents, plus beaux que d’autres. Le hasard de la vie frappe sans pitié. Pour pallier à cette loterie fondamentalement injuste, de nombreuses procédures médicales permettent de repérer voire d’éviter certaines tares aux futures progénitures. Mais bien que la génétique ne cesse de progresser (n’oublions pas que l’on peut cloner des animaux depuis Dolly en 1996), nous n’avons pas encore franchi le cap du choix des caractéristiques de nos futurs enfants. Une limite qu’Aldous Huxley se plaisait à franchir il y a déjà un siècle.
La sélection (pas) naturelle
Dans Le Meilleur des mondes, récit d’anticipation d’une clairvoyance folle et reflet d’un monde de plus en plus industrialisé, les futurs membres de la société sont conçus via un procédé de division cellulaire lors d’une fécondation in vitro. Cinq castes composent alors la société : deux supérieures (Alpha et Bêta) et trois inférieures (Gamma, Delta et Espilon). Un roman visionnaire quant à la direction qu’allait prochainement suivre le régime Nazi de l’autre côté de la Manche, avec son eugénisme vorace.
Clairement inspiré par cet ouvrage aujourd’hui devenu un classique, Andrew Niccol pour sa première réalisation (il vient de se faire remarquer avec le script de Truman Show), emboîte le pas de son modèle. Dans un monde défini comme notre futur proche, il est possible de choisir les qualités de sa descendance et réduire au maximum ses défauts, grâce au triage des gamètes. Si persistent toujours des enfants dits naturels, conçus de manière organique, ils ne peuvent dorénavant plus prétendre aux hautes fonctions de la société. Ils sont relégués à des tâches subalternes au profit de ces nouveaux êtres proches de la perfection, plus à même de réussir.

Vincent, enfant né de l’amour, myope comme une taupe et au cœur fragile, ne souhaite qu’une chose : rejoindre la société Gattaca et s’envoler pour la planète Titan. Dans l’incapacité de réaliser son rêve (un simple test ADN le sort de la course), sa rencontre avec Jérôme va tout changer. Ce dernier, appartenant aux classes supérieures car né via l’ingénierie génétique, vient de subir un grave accident qui l’a laissé en fauteuil roulant. Vincent va alors prendre possession de l’identité de Jérôme, afin de pouvoir enfin accéder au pôle scientifique de Gattaca. Pour ce faire, il récolte chaque jour les urines, le sang et des morceaux de peau de Jérôme afin de passer les barrages d’identification. Mais un meurtre vient d’avoir lieu, et Vincent est rapidement suspecté.
Mélangeant la science-fiction au néo-noir, Andrew Niccol bâtit une œuvre à plusieurs facettes. Avec ses décors rétro-futuristes aux accents fifties et une épure visuelle totale, il parvient sans mal à résister aux affres du temps. Presque 30 ans après sa sortie, le film n’a pas pris une ride, bien aidé par la ligne claire de sa direction artistique, où l’architecture et les costumes ont la bonne idée de rester sobres. Pas d’effusion d’effets spéciaux ou de couche sonore électro, mais une intrigue réduite à l’os, qui n’a de cesse d’approfondir sa thématique centrale, au profit d’une foi inébranlable en nos propres imperfections.
Recherche du surhomme
Tout l’enjeu de Bienvenue à Gattaca est de constamment confronter une nature imparfaite face à la chance des «bien-nés». La route du succès pour Vincent sera longue, douloureuse, le laissant en permanence sur le qui-vive d’être démasqué. Un combat presque perdu d’avance face à des individus qui ne sont pas sélectionnés pour leurs capacités intrinsèques, mais bien pour leur patrimoine génétique exceptionnel. Derrière cette charge contre toute forme de discrimination sur de purs critères de naissance, se cache la volonté de croire en un intellect façonné par une vie semée d’embûches, et non en un tube à essai de laboratoire.

Dès lors, le parcours de Vincent se résume à une lutte de tous les instants, à prouver constamment qu’il vaut plus que son voisin, à force de travail et d’acharnement. Une injustice de départ infranchissable, qui isole une caste du reste de la société, persuadée de son élitisme et de sa vocation à diriger le reste des citoyens. Leur sang prouve qu’ils sont supérieurs, évoquant dangereusement les tentatives d’eugénisme passées (au-delà des Nazis, n’oublions pas les Spartiates), où derrière la recherche d’un être parfait, se terre surtout le massacre de censés «sous-hommes», hiérarchisant les vies à travers une idéologie sans demie-mesure.
D’une enquête qui permet de dynamiser le récit à un nœud dramatique entre deux frères (son frangin est lui issu d’un tube à essai), tous ces éléments intelligemment imbriqués permettent au long-métrage de questionner le spectateur en permanence. Réussite de par sa sobriété visuelle et sa profondeur thématique, tout autant que grâce à son jeune trio d’acteurs débutants (Ethan Hawke, Uma Thurman, Jude Law), Bienvenue à Gattaca se pose comme un premier film d’une maîtrise assez surprenante.
Bien qu’il ait quelques années plus tard accouché du cultisme Lord of War, avec son générique retraçant la fabrication d’une balle de fusil jusqu’à son utilisation sur un champ de bataille, Andrew Niccol n’a pas eu la carrière qu’on espérait suite à ce premier coup d’éclat. Si Good Kill a un tant soit peu relancé un intérêt envers le metteur en scène en 2014 (déjà 11 ans !), son nom ne parle plus vraiment au grand public d’aujourd’hui. Heureusement, cette œuvre d’anticipation à la lisère du Cyberpunk (le transhumanisme en toile de fond) est là pour nous rappeler que le bonhomme a quand même participé à sa manière à ralentir une course à la SF démesurée, démontrant qu’un scénario solide et un univers crédible peuvent tout raconter.