[Critique] – Camp 731


Camp 731 affiche film

Réalisateur : Mou Tun-fei

Année de Sortie : 1988

Origine : Chine

Genre : Cobayes Humains

Durée : 1h45

Thibaud Savignol : 6,5/10


Un avant goût de l’enfer


Psychopathes en blouses blanches

Suite à l’invasion de la Mandchourie en 1931 par le Pays du Soleil Levant, dans sa soif de conquête et de grandeur, la région est désormais régie par une administration japonaise des plus autoritaires. Dès 1932 est créée une unité militaire de recherche bactériologique : la tristement célèbre unité 731. Censée s’occuper de la prévention des épidémies et de la purification de l’eau, ses objectifs prendront rapidement une tournure bien plus sombre. Souhaitant mettre au point rapidement des armes chimiques redoutables en vue de prochains conflits à venir (celui avec la Chine n’éclatera qu’en 1937), les scientifiques vont se livrer à toutes sortes d’expériences, plus abominables les unes que les autres.

Après avoir eu recours à des condamnés à morts, des résistants puis des prisonniers militaires, ce sera au tour des civils du coin d’en faire les frais. Le long-métrage de Tun-fei se concentre ainsi sur les derniers mois du Camp 731, qui devait dans l’urgence concevoir une arme définitive afin de repousser la progression des alliés, le Japon étant pris en étau entre le sursaut chinois et la poussée américaine finale. Ayant perdu leur humanité depuis bien longtemps déjà, les scientifiques se livrent dès lors aux expérimentations les plus viles. Qu’il s’agisse de tester toute sorte de virus sur les cobayes ou tout simplement par plus plaisir de recherche, ils ne suivent désormais plus que leur soif inextinguible de « découvertes », sans aucune limite.

Longtemps restée tue, l’histoire de cette unité secrète éclate au grand jour à partir des années 80, là où les horreurs nazies à la Mengele avaient rapidement fuité lors de l’après-guerre. Avec l’aide financière du gouvernement de Chine populaire, le metteur en scène dresse un portrait au vitriol de ces savants fous, qui ne voyaient en ces sujets que de vulgaires rats de laboratoire. Si la propagande ne semble jamais très loin, les faits recensés appuient tout de même la vision de Tun-fei, notamment à travers le catalogue d’horreurs qu’il dresse à l’écran.

Camp 731 Critique Film Catégorie 3

Déterrer le passé

Coupé ou censuré selon les pays, Camp 731 n’usurpe pas son statut de film choc, notamment par son traitement anti-spectaculaire des faits relatés. Bien qu’il s’autorise quelques passages un chouia mélo, et laisse la musique s’inviter à de rares occasions, la froideur du traitement le rapproche pas instants du documentaire pur et dur. On pense à cette introduction à la voix-off journalistique, illustrant via des cartes la situation historique, ou à ses images d’archives intercalées au milieu du récit. Pas de doute, le bonhomme a travaillé son sujet. Il cherche à en restituer toute la folie sous-jacente, ne trahissant jamais son dispositif clinique, que certains qualifieront de complaisants, à tort.

L’œuvre n’est en effet pas avare en séquences sadiques, où rien ne nous est épargné, mais c’est davantage pour secouer les consciences que pour flatter nos plus bas instincts. Cette page longtemps oubliée/cachée du conflit sino-japonais venait de refaire surface, et cette colère ne pouvait qu’accoucher d’une œuvre aussi frontale. Une fois un nourrisson enseveli sous la neige, le ton est donné. Pour tester la réaction du corps humain au changement de température, les bras d’une femme seront gelés, avant d’être réchauffés ; résultat, la peau de ses membres se détachera sans forcer. L’un subira les affres d’un caisson de décompression, ses organes étant littéralement expulsés par son orifice postérieur, tandis que d’autres cobayes finiront démembrés dans un champ de mines expérimental. Il n’y a qu’à effectuer quelques recherches pour se rendre compte de l’étendue des horreurs commises, le film n’en faisant qu’une démonstration non exhaustive.

Les corps s’accumulent au crématorium, où le maître des lieux chantonnent et s’enivre ad vitam æternam, comme pour s’échapper de cet abattoir humain. Si toute trace d’humanité a définitivement disparue (un enfant est disséqué juste pour ses organes soi-disant précieux, les cobayes sont surnommés «maruta», signifiant «bûche»), à l’image d’un directeur au sadisme inhumain (Shiro Ishii, un génie maléfique bien réel), il ne reste plus que la jeunesse comme dernier espoir. Matés et forcés à contempler les expériences ou à prendre par au lynchage d’un prisonnier pour déshumaniser leurs victimes, ils ne seront pas les éponges souhaitées, ni les esprits malléables espérés.

Croyance dans la génération suivante à rejeter cette sombre facette du Japon ou critique d’une éducation ratée au pays du Soleil Levant ? Toujours difficile à trancher. Mais il est à parier que le réalisateur chinois voyait dans ces jeunes rebelles un exutoire aux démons qui ont massacré les siens (les armes bactériologiques développées ont permis plus de 300 000 victimes chinoises). Une bien maigre satisfaction face à l’immunité qu’ont pu obtenir ces bourreaux auprès des américains victorieux, en échange de leurs découvertes. Les vainqueurs (ré)écrivent décidément toujours l’Histoire.

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