
Réalisateur : Albert Pyun
Année de Sortie : 1992
Origine : États-Unis / Danemark
Genre : Actionner Cyberpunk
Durée : 1h35
Le Roy du Bis : 7/10
Thibaud Savignol : 6/10
Le John Woo des Bacs à Soldes
Certains artistes ne sont jamais reconnus de leur vivant pour leur talent et leur productivité. Il en est un dont le nom a autrefois fait le bonheur des vidéo-clubs et envahit depuis tous les étals des bacs de DVD à 1 euros l’unité. Nous voulons bien évidemment parler d’Albert Pyun, découvert par ses fans les plus fervents en fouinant dans la filmographie de JCVD (Cyborg).
L’Enfer des Armes
Rappelons que le réalisateur hawaïen fut introduit par un certain Toshiro Mifune, avant de devenir l’assistant de Takao Saito (le directeur photo des films d’Akira Kurosawa), puis de se tourner vers le monde de la série B/bis. Stakhanoviste, Albert Pyun s’ennuyait très vite sur les plateaux de tournage, enchaînant les commandes et petites productions à un rythme métronomique, mettant en boîte ses films en l’espace de quelques jours seulement. Ces derniers, dotés d’un fort capital sympathie, se retrouvaient amputés de leur format cinémascope, recadrés sauvagement en 4/3. Les faibles moyens alloués l’obligeaient à recourir à de multiples subterfuges. Les nombreux champs-contrechamps permettaient par exemple de pallier aux conflits d’emploi du temps de ses acteurs, se faisant face sans jamais se croiser sur le tournage.
Nemesis est néanmoins l’une de ses productions les plus ambitieuses. Les prises de vues se sont éternisées sur près d’un mois et demi, considérant les multiples localisations (Hawaï , l’Arizona, Los Angeles et le désert de Californie), les scènes d’action ébouriffantes coordonnées par Terry Frazee en personne (Blade Runner, Point Break, Postman, Heat, Pirates des Caraïbes, excusez du peu…) et les tumultes de tournage. Entre le caractère tempétueux de son principal interprète (le kickboxer Olivier Grunner) au régime sur-protéiné et son control freak de producteur omnipotent, se vantant d’avoir banqué une somme correspondant à son numéro de carte bleue, le réalisateur ne garde pas un souvenir impérissable de cette expérience d’autant qu’il fut dépossédé du montage final.
Au croisement de Blade Runner et de Terminator, l’intrigue de Nemesis prend racine dans un futur dystopique. Les cyborgs tentent de prendre le contrôle de la Terre en démantelant un réseau de la résistance ne reconnaissant pas les êtres synthétiques comme authentiques. Si le scénario aborde les thématiques cyberpunk (contrôle de l’information, transhumanisme, quête identitaire) et notions telles que la condition de l’homme, Nemesis reste néanmoins un techno thriller très orienté action. Le film s’inscrit dans la veine des productions de la PM Entertainment, avec son bouillon de cultures d’influences disparates et hybrides inutilement sophistiquées, toujours prétexte à livrer des scènes d’actions spectaculaires et euphorisantes.

Volte/Face
Faute de pouvoir mettre en scène son histoire dans une mégalopole Babylonienne (L.A. ne sera jamais que survolée et mentionnée), le réalisateur propose plusieurs backgrounds aux styles totalement antinomiques : cadre crépusculaire, jungle, désert post-apocalyptique, urbanisme du siècle dernier et paysage de carte postale. Ces environnements se marient paradoxalement très bien au talent et au savoir-faire du chef opérateur. George Mooradian expérimente parfois différents filtres de couleurs pour tenter d’insuffler une atmosphère science-fictionnelle hors du temps, donnant à son film des airs de western futuriste. La quiétude de certaines séquences rompt avec la furie des affrontements, tendant vers une forme d’abstraction.
Pratique, les vieilles ruines sidérurgiques servaient de background post-apocalyptique idéal. Les cyborgs bardés de technologies tirent comme des Stormtroopers et font de cet environnement un véritable gruyère (Alex qui se dégage un passage en tirant à travers le sol d’un hôtel). Ils déforestent la jungle à grands coups de Shrapnel, explosant tout ce qui peut bien s’apparenter à des murs, des cheminées ou des éléments de décors destructibles, pour le plus grand bonheur des spectateurs.
Les gunfights sont particulièrement gores et nerveux. Les corps subissent des déflagrations et démembrements chirurgicaux, réduits à l’état de charpie électronique. Pendant qu’Albert Pyun tente de reproduire le cinéma de John Woo, Olivier Grunner s’improvise en Chow Yun-Fat des bacs à sable, avec une série d’acrobaties et de ballets aériens parvenant à faire oublier son affreuse coupe au mulet et son manque d’expressivité. Tim Thomerson ne change pas de fusil d’épaule, revêtu de son éternel défroque corporatiste (trench et lunettes), troquant le rôle du héros pour celui du parfait salaud.
Il serait tentant de voir en Nemesis une parabole grossière de la guerre du Vietnam où des agents du gouvernement se retrouvent à mener une guérilla dans un territoire hostile qu’ils ne maîtrisent pas et qui les mènera à leur perte. Les résistants se terrent dans un cadre naturel luxuriant les rapprochant de leur humanité, en opposition aux cités déshumanisées et à la mainmise des grandes corporations sur-équipées (hélicoptère, mitrailleuse portative, gadget futuriste). Bien qu’il souffre d’une narration elliptique parfois confuse, les artifices pyrotechniques, l’extraordinaire flow d’Olivier Grunner, et l’atmosphère envoûtante qui se dégage du film en font la pièce maîtresse de la filmographie d’Albert Pyun.