
Réalisateur : Andrew Lau
Année de Sortie : 2003
Origine : Hong-Kong / Chine
Genre : Train Fantôme Désuet
Durée : 1h35
Thibaud Savignol : 3/10
Attraction en panne
Le rythme de production entre l’Occident et Hong-Kong n’a pas grand chose en commun. Au-delà d’essorer un genre prolifique jusqu’à plus soif (voir les centaines de copies du Syndicat du Crime de John Woo), les projets s’enchaînent à vitesse grand V. Si notre Jean-Pierre Mocky national ou le nippon furibard Takashi Miike peuvent rivaliser en terme d’intensité, il reste des exceptions face aux réalisateurs du Port Parfumé. Andrew Lau ne fait pas exception à la règle avec 50 long-métrages au compteur ; pour le meilleur (la trilogie Infernal Affairs), et pour le pire, avec cette galère dans laquelle on ne comprend pas ce qu’il est venu faire, The Park donc.
Détachez vos ceintures
Dès la séquence d’introduction au cœur d’une petite fête foraine (on y reviendra plus tard) le ton est donné : c’est bordélique à l’écran, les figurants font n’importe quoi, la musique agresse quand ce ne sont pas les pauvres enfants qui jouent horriblement mal. D’ailleurs, l’un d’eux paiera très cher son manque de talent en tombant de la grande roue et s’écrasant au sol dans une marre de jus de cranberry. Quinze ans plus tard le lieu est fermé, réputé maudit. Une survivante de cette nuit cauchemardesque voit en rêve son frère se faire happer par l’esprit d’une pierre tombale proche du parc (le fameux cimetière indien, vraiment). Ni une ni deux, elle réunit ses amis et décide de partir à sa recherche.
On a essayé de résumer le plus clairement possible un début de film qui n’a pas vraiment de sens (qui est ce frère, d’où sortent ces protagonistes ?). Au diable la cohérence ou le minimum syndical scénaristique. Ici, le seul but est de balancer le plus rapidement possible la bande de jeunes dans les griffes de la kermesse hantée, d’enchaîner les scènes horrifiques gratuites et incohérentes. Et puis, on rigole aussi un peu de l’accoutrement des ces «d’jeuns branchés» du début des années 2000, avec leur portable à clapet, leur taille basse si atypique et leur coiffure Vivelle Dop fixation béton, méchant boomerang de nos années collège.
Confrontés à des fantômes typiques du cinéma asiatique (le film pompe sans vergogne The Grudge avec son gamin au visage poudré et sa daronne aux cheveux longs bien gras), Andrew Lau est incapable de créer la moindre tension. Il n’a de cesse de pousser les potards à fond, d’user de jumps scares putassiers et d’un montage agressif. Sur ce dernier point, rien d’étonnant avec Danny Pang au générique. Le monteur-réalisateur s’est rapidement doté d’un style rentre dedans, aussi revigorant (Bangkok Dangerous) qu’épuisant (Ad Norman Beauty) : ralentis en pagaille, accélérations clipesques, musique omniprésente voire assourdissante et un design sonore plus éreintant qu’effrayant.

Polaroid maudit
De l’autre côté du spectre, le film cite également le sympathique Massacres dans le Train Fantôme de Tobe Hooper, avec son freak en hôte de la fête foraine. Seul gardien du temple, assujetti à la menace qui rôde, il se fera un malin plaisir de se joindre aux esprits vengeurs en vue d’éliminer ces jeunes ignares après plusieurs avertissements. Mais le film tourne trop rapidement en rond, incapable de déployer le moindre enjeu, la moindre structure horrifique. Comme esquissé plus haut, la taille du lieu pose problème ; au détour de quelques plans larges suicidaires, le parc d’attraction apparaît comme trop étroit au regard des péripéties. Il devient alors incompréhensible que les protagonistes se perdent, ne s’entendent pas hurler, leur séparation dégommant instantanément toute suspension d’incrédulité.
Autre attraction du film, la mention 3D faite dans le titre. En effet, une paire de lunettes à l’ancienne, rouge et bleue, est fourni avec le DVD. Le truc, c’est que seules quelques séquences sont dotées de la technologie, représentant moins de 10 minutes sur l’ensemble de la projection. Problème, acheté d’occase chez Gibert, l’auteur de ses lignes s’est retrouvé avec un boîtier vidé du précieux sésame. Résultat, un générique en relief plutôt sympathique et quelques passages horrifiques surréalistes, aux monstres dédoublés et dotés d’une étrange colorimétrie rouge verdâtre qui pique les yeux. Ça avait son charme, à sa façon.
Derrière ce marasme opportuniste réalisé avec un je m’en foutisme des plus sincères, surnage une belle idée, vue la même année dans le jeu Forbidden Siren sur PS2 et reprise plus tard par le léthargique mais terrifiant Shutter (ce final inoubliable). Manette en main, on arpente de terrifiants villages japonais hantés, muni seulement d’un appareil photo. Il s’agira de capturer les esprits malveillants à travers l’objectif, histoire de les emprisonner une bonne fois pour toutes sur la pellicule et ainsi délivrer leur âme. The Park exploite la même idée, dans un double sens plutôt touchant, capturant les esprits vengeurs, mais à l’inverse libérant également les âmes d’innocentes victimes, comme cette gamine tombée de la roue en préambule.
Dans la lignée d’un The Ring sorti quelques années plus tôt, l’horreur s’adapte aux technologies de son époque. On peut y déceler une relecture moderne du Styx, l’outil (VHS, appareil photo) faisant le lien entre les deux mondes, rapprochant plus que jamais les morts des vivants. Takashi Miike s’en emparera l’année suivante pour son plutôt réussi La Mort en ligne, où le téléphone portable devient annonciateur d’un décès prématuré. On refaçonne ainsi les mythes d’antan à la lumière des procédés d’aujourd’hui. L’épilogue interminable de The Park ne sait malheureusement quoi faire du potentiel d’un tel concept. Il faudra sans doute un long-métrage plus prestigieux et sûr de ses forces pour continuer à extrapoler sur ce champ d’études.