[Critique] – Le Dossier Maldoror


Maldoror affiche film

Réalisateur : Fabrice Du Welz

Année de Sortie : 2024

Origine : Belgique

Genre : Enquête Traumatique

Durée : 2h35

Thibaud Savignol : 7/10

Sortie en salles : 15 janvier 2025


Des monstres parmi nous


1996, une année marquée du sceaux de l’infamie pour la Belgique. Le 13 août l’affaire Dutroux connaît à la fois son épilogue et son commencent. Si un visage est enfin posé sur l’ogre qui sévit depuis plus d’un an, le dysfonctionnement des instituions judiciaires est mis à jour. Cinq corps sont exhumés, deux survivantes échappent à cet enfer, et les témoignages s’accumulent, au cœur d’un pays profondément meurtri par ces révélations sordides. Il est facile d’imaginer la trace profonde qu’a pu laisser cette affaire dans l’esprit du jeune Fabrice Du Welz, âgé de seulement 23 printemps.

Blessure nationale

Obnubilé par cette enquête, le réalisateur belge aspirait à réaliser un jour le film définitif sur le sujet. Grâce à toute l’expérience acquise sur ses œuvres précédentes, du polar (l’oublié Colt 45) au trip mystique (le beaucoup trop sous-côté Vinyan), il dispose enfin des armes nécessaires pour se lancer dans un tel projet. Étudiant les dossiers rendus publics suite à une fuite en 2009, où plus de 1200 pages regroupent procès verbaux et autres preuves, il sollicite également des anciens policiers de l’enquête ainsi que des témoins.

Annoncé dès 2021, Le Dossier Maldoror débarque enfin sur nos écrans en ce début d’année 2025. Deux jeunes filles viennent de disparaître dans la Belgique de 1995. En parallèle, le jeune gendarme Paul Chartier est saisi de l’affaire afin du surveiller un potentiel suspect. En plus d’être confronté aux conflits avec les autres services (police fédérale et communale) et à une hiérarchie qui fait la sourde oreille, l’enquête va l’obséder de plus en plus.

Si il s’inspire grandement de l’affaire Dutroux, Du Welz ne prend que quelques éléments qu’il va disséminer au gré du long-métrage, s’éloignant progressivement de la réalité jusqu’à sa dernière partie purement fictive. Tous les noms sont changés, l’action localisée à Charleroi, seulement certaines disparitions sont mises en avant, mais surtout, le metteur en scène illustre la théorie qui veut qu’un véritable réseau ait gravité autour de Marc Dutroux. Une possibilité émanant du fameux témoin X1 en 1996 (Régina Louf, elle a levé son anonymat depuis), une femme qui dénonça une organisation pédocriminelle bien plus tentaculaire que le seul couple accusé (la femme de Dutroux Michelle Martin, également complice). Une possibilité toutefois longtemps discréditée par la justice belge, ce qui donne évidemment du grain à moudre à ses défenseurs.

Seul contre tous

Du Welz transforme ainsi le fait divers sordide en une grand fresque moraliste, impliquant hommes politiques et personnalités, miroir d’élites malades et de dysfonctionnements judiciaires dès lors plus compréhensibles. Des libertés indiquées d’entrée par un carton, peut-être rajouté suite à quelques tollés lors des avant-premières quant aux changements entrepris. Fleurtant dangereusement avec les théories complotistes, où les faits sont systématiquement le résultat d’engrenages plus vastes, le long-métrage parvient à éviter le procès facile, sous-entendant plus que confirmant. Ce qui intéresse davantage le réalisateur, c’est la descente aux enfers qui attend son héros de circonstance.

Un choix de premier rôle qui détonne, tant Anthony Bajon nous a habitués à des rôles plus introvertis, mais qui révélaient pourtant déjà chacun une rage sous-jacente, qu’elle soit bestiale (Teddy), forcée (Chien de la Casse) ou salvatrice (Athena). Un parti pris qui ne convaincra pas tout le monde, tant il paraît sur un fil tout du long, entre douceur maritale et violence contenue jusqu’à l’explosion. Un entre deux voulu, jouant sur la candeur apparente de Bajon, pour rendre d’autant plus crédible son basculement dans l’horreur, happé par les griffes intangibles du Mal à l’état pur. Paul Chartier rejoint dès lors la longue galerie de personnages Friedkienniens, ambigus, progressivement gangrenés par les ténèbres jusqu’au point de non-retour.

Maldoror Critique Film Du Welz

Un protagoniste borderline dans la lignée des rôles précédemment écrits par Du Welz, dont les excès tournent à l’obsession, chacun faisant face à des névroses qui détruisent tout sur leur passage. On pense au flic vengeur de Message from the King, au mari aimant mais tortionnaire de Calvaire, ainsi qu’au duo de gamins fugueurs d’Adoration, pris dans la spirale infernale des troubles psychotiques d’une gamine malade. Mais surtout, ce gendarme hanté par l’affaire renvoie aux enquêteurs chers à David Fincher (Seven, Zodiac), dévorés par leurs propres investigations.

Pour mettre en scène cette bascule, le long-métrage s’appuie sur une durée de 2h30, du jamais vu chez Du Welz. Ce dernier prend soin d’introduire ses personnages avant d’illustrer leur lente déliquescence. Le mariage fastueux en quasi-ouverture cite autant le Parrain de Coppola que celui de Voyage au bout de l’enfer de Cimino, symbole d’unions qui se verront broyer par les ambitions et les obsession d’hommes tourmentés. Si le script prend soin d’ajouter de nombreux rebondissements, ce jeu sur les deux tableaux réussit à amplifier les déchirements humains, liés à une affaire bien trop sombre et vorace pour un seul homme.

Héritage posthume

La première partie souffre de quelques longueurs inhérentes au projet, et se détourne de l’enquête elle-même, mais une fois la traque lancée, le rythme bat son plein. Dorénavant moins ostentatoire dans sa mise en scène, le style apparaît plus dépouillé, frontal et direct. Si l’on peut regretter les tours de force esthétique à la Alleluia, Du Welz habite littéralement son sujet, collant aux basques de son protagoniste, ne laissant retomber la tension que très rarement.

Assisté de son chef opérateur habituel depuis Alleluia, Manuel Dacosse (le sublime L’Étrange couleur des larmes de ton corps, c’est lui), et fidèle à ses habitudes, le réalisateur propose une image organique et rappeuse en 16mm. Un choix encore une fois en adéquation avec le sujet traité, explorant la crasse inhumaine et plongeant la tête la première dans les affres de la perversion. Le malaise n’est jamais loin, notamment lorsque certaines séquences sont appuyées par des élans musicaux mi-électroniques mi-symphoniques, à la puissance dévastatrice. A l’instar du générique, tout en images composites héritées des grandes heures de la VHS et noyées dans un rouge mortifère et funèbre.

Comme The Beast de Hans Herbots sorti en 2014, qui par une voie encore plus détournée évoquait la même affaire, Le Dossier Maldoror cherche à regarder dans les yeux les traumas du passé. Plus qu’une relecture fidèle des faits, Du Welz sonde les abysses du Mal et le système les ayant engendrées. Anthony Bajon incarne cette Belgique rageuse et endeuillée, dans un geste qui le mènera aux limites de la légalité, victime d’une soif inextinguible de vengeance. Une façon de réécrire l’Histoire du Plat Pays, dont les cicatrices se referment lentement, très lentement.

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